27e dimanche ordinaire C
(Lc 17, 5-10)
Octobre 2022
Frères et sœurs, lorsque les apôtres demandent à Jésus d’augmenter leur foi, qu’attendent-ils ? Quelle est donc la raison qui les pousse à exprimer une telle requête ? Et eux qui cheminent avec Jésus, qui ont la grâce d’être avec lui, jour et nuit, que feraient-ils de ce supplément de foi ? Que leur apporterait-il dans cette marche avec lui ? Je crains que cette demande ne soit pas d’abord celle d’hommes qui se veulent serviteurs, à l’image de celui dont nous parle Jésus dans la deuxième partie de l’évangile, de « simples serviteurs » appelés à faire leur « devoir » (10) en endurant le poids du jour. Non, cette demande est peut-être plutôt celle d’hommes qui voudraient rendre plus facile, plus légère, leur marche à la suite du Christ. Celle d’hommes qui recherchent une sécurité, et peut-être même une certitude. Suivre le Christ, bien sûr, mais à condition que nous n’ayons aucun doute, aucun effort, aucune peur, aucun regret. Il y a là comme l’attente d’une preuve, comme quelque chose de matériel, de visible, sur quoi nous pourrions nous appuyer pour avancer. Mais ce bâton que nous voudrions saisir fermement dans notre main pour assurer notre marche, n’est autre que cette parole que saint Paul a entendue, et qu’il nous faut nous aussi entendre et accueillir comme le plus solide des bâtons : « ma grâce te suffit » (2 Co 12,9). Notre foi n’est pas basée sur une vision ou sur un catéchisme, mais fondamentalement sur une relation, sur une personne – le Christ. C’est sa présence dans notre vie, dans notre monde, qui rend solide et inébranlable notre foi. C’est parce que nous avons été saisis par l’amour de Dieu, parce qu’un jour nous nous sommes découverts, reconnus, aimés de Dieu, que nous avons la foi aujourd’hui. Et nous avons la foi, aujourd’hui encore, parce que nous continuons et voulons continuer de croire en cet amour, de croire que cet amour - qui peut-être se fait apparemment moins fort, moins sensible - ne se retirera jamais ; de croire que cet amour et Dieu, c’est tout un. Ainsi, si avoir « de la foi, gros comme une graine de moutarde » suffit pour qu’un « arbre » nous obéisse en se déracinant et en se plantant « dans la mer » (6), c’est peut-être parce qu’il ne s’agit pas tant de la taille de notre foi que de son existence ou de son inexistence. La foi, nous l’avons ou nous ne l’avons pas. L’Apocalypse nous dit que Dieu vomit les tièdes (3,15). Saint Paul nous dit encore que « le Christ n’a pas été oui et non ; il n’a été que oui » (2 Co 1,19). Et nous aussi, ce matin, comme chaque jour, il nous est demandé si oui ou non nous avons la foi. Oui ou non, face à notre vie, face à ce que vit notre monde, croyons-nous que Dieu est présent, agissant, aimant ? Gardons-nous, au fil du jour, le fil de la relation avec Lui ? Bref, sommes-nous, nous aussi, comme les apôtres, en marche avec Jésus, à sa suite sur cette route qu’il prend résolument vers Jérusalem ? Et sommes-nous prêts à consentir aux épreuves de ce chemin, à les traverser avec notre foi, notre peu de foi, pas plus gros qu’une graine de moutarde, et pourtant bien suffisant, nous dit Jésus, pour la marche de chaque jour.
Et la deuxième partie de l’évangile, avec ce « simple serviteur », nous indique peut-être comment il faut marcher. Elle nous dit que la foi ne peut rester lettre morte. Que ce n’est pas elle qu’il faudrait augmenter, mais notre capacité à l’incarner dans notre vie, à faire de cette foi un service pour le monde. La foi en l’amour de Dieu pour nous – lui qui s’est fait « simple serviteur » – doit se traduire dans l’amour qu’à notre tour nous devons, nous pouvons donner. Cette foi qui nous ouvre à la relation à Dieu, nous ouvre donc aussi à la relation à l’autre. Croire en Dieu nous sollicite à croire et en soi, et en l’autre ; et à croire ensemble. Oui, croire en l’autre, c’est peut-être le premier service, le premier amour, que nous pouvons lui donner, mais un amour dont il a absolument besoin. Le Christ, lui, a été capable de cet amour. Il a offert à chacun ce regard de foi sur lui-même, cet infini respect de sa personne ; regard, respect, amour qu’il a lui-même reçus du regard, du respect, de l’amour que son Père portait sur lui. Le Christ, par sa relation au Père et par sa relation aux autres, nous a ouvert le chemin de la foi concrète. Notre vie de foi consiste donc à le contempler et à nous laisser conformer à lui : croire, servir, aimer, comme il l’a fait.
Frères et sœurs, « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi. » (6). Par cette image, le Christ nous montre la force et la puissance de la foi. Et aujourd’hui, nous sommes invités, nous chrétiens, nous communauté monastique, à nous laisser saisir par cette puissance, ou plutôt à nous y abandonner, nous laisser guider, entraîner par elle. Qu’en cette eucharistie, tous ensemble, nous puissions croire « que rien n’est impossible à Dieu. » (Lc 1,37).