18e dimanche ordinaire C
(Luc 12,13-21)
Août 2022
Frères et sœurs, cet évangile commence par une interpellation, celle d’un homme qui demande à Jésus d’être comme un médiateur dans une question d’héritage avec son frère. Puis, Jésus, en réponse, raconte une parabole, et nous oublions bien vite l’interpellation du départ. Pourtant, elle nous donne deux éléments importants pour comprendre cette parabole.
Le premier, l’essentiel, c’est celui de la relation à l’autre. L’homme se tourne vers Jésus pour qu’il s’adresse à son frère avec qui il est en difficultés relationnelles. Jésus refuse d’intervenir, mais il offre aux deux frères un chemin possible de rencontre. Il le fait en racontant cette parabole dans laquelle le personnage principal est l’unique acteur ; où il n’y a que lui, qui tourne autour de lui, enfermé en lui. Et donc cette voie possible que Jésus ouvre à l’homme du départ et à son frère, c’est celle de la relation, une relation qui doit toujours primer sur le reste, sur l’héritage, l’argent, la discorde. Elle est la richesse qu’il faut acquérir, la moisson qu’il faut amasser, le grenier qu’il faut agrandir. Tout le reste sera perdu, aujourd’hui ou demain. Vivre la relation à l’autre – qu’il soit Dieu, qu’il soit homme ou femme, ou encore qu’il s’agisse de la création – c’est probablement cela « être riche en vue de Dieu ».
L’homme de la parabole est donc seul dans sa parabole. Il y a son domaine, sa récolte, ses greniers, son blé, ses nombreux biens, bref sa vie, mais personne d’autre, personne autre, si ce n’est, soudain, Dieu qui transperce cet isolement, mais pour lui dire : « Tu es fou » (20). Alors oui, si « cette nuit même, on va te redemander ta vie. Et ce que tu auras accumulé, qui l’aura ? » (20), qui pourra en bénéficier, puisqu’il n’y a personne d’autre dans cette parabole ? Tout sera perdu, et pour toi, et pour les autres.
Cet homme n’est pas coupable de sa richesse, mais de son usage. D’ailleurs, il ne cherche pas tant à accumuler cette richesse, qu’à en jouir tranquillement comme s’il était seul au monde, comme si son petit bonheur pouvait être le bonheur du monde. Non, il ne cherche pas à accumuler, mais à s’asseoir, se reposer sur ce qu’il considère être son trésor et son droit. L’autre dont il aurait ici besoin, en qui il mettrait sa confiance, n’est autre que sa richesse. Voilà son dieu, son idole, ce qu’il croit être son rocher. Dieu, de qui vient tout don, à commencer par le don de la vie, de la croissance et de la moisson, est exclu, puisque cet homme ne s’appuie pas sur lui, mais sur son tas de blé. Son erreur, sa culpabilité, vient de cette quête de sécurité qu’il met dans le matériel, le factuel, l’éphémère.
Et c’est peut-être le deuxième enseignement de l’introduction de cet évangile. Il s’agit d’une question d’héritage et donc de mort. La mort, dès le début, rode sur ce personnage et sur tous les acteurs et auditeurs de l’évangile. Elle est là, en embuscade, comme pour nous rappeler qu’il faut faire des choix, les bons choix, ceux qui nous donnent « d’être riche en vue de Dieu. » (21). Déjà, cette façon d’accumuler, de rechercher une sécurité, était un signe de cette peur de mourir, un manque de confiance dans la vie qui s’ouvre devant soi, un manque de confiance en Dieu. Alors, que laisseras-tu, toi, nous, lorsque nous partirons ? Et à qui ? Si la mort, pour le non-croyant, peut exprimer de façon radicale la fin de toute relation, Jésus la resitue au cœur de nos relations, c’est-à-dire comme ce qui, en creux, met en relief ces relations et leur donne toute leur importance.
Cette parabole nous dit donc quelque chose sur notre rapport au matériel, aux richesses, mais plus encore, nous l’avons vu, sur notre rapport à l’autre, et sur la mort et donc, la vie. L’autre, qu’il soit Dieu ou qu’il soit homme, nous ouvre à la vie. Et je dirais même, l’autre est résurrection. Résurrection, parce que dans notre rapport à lui, il ne s’agit pas tant d’essayer de ne pas nous gêner, de ne pas nous affronter. Il ne s’agit pas non plus d’être tout simplement dans un rapport de politesse ou encore d’exercer des vertus toute humaines de patience. Non, il s’agit de consentir pleinement à sa présence, de lui laisser une place dans notre parabole, notre moisson, notre héritage. Et de découvrir que c’est en partageant avec lui ou en agrandissant pour lui nos greniers que nous trouverons la vraie vie, celle qui nous sécurise, celle où il nous est enfin possible de dire à notre âme : « Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence », parce que tu es dans le vrai, dans la vie, parce que tu es ouverte à ce que l’autre vient convertir et susciter en toi. Alors frères et sœurs, pour terminer, écoutons une parole du pape François, qui dit quelque chose de cette parabole, qui dit aussi ce que Jésus lui-même a été, et qui dit ce que nous vivons dans cette eucharistie : « L’amour que nous donnons nous sauvera ».