Homélie funérailles de Père Omer De Ruyver

(Jn 14,1-11)

16 mai 2022

 

Frères et Sœurs, les premiers mots de cet évangile - « A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père » - nous redisent que la vie est un passage. Non pas d’abord un passage qui en dirait la brièveté, ‘un petit tour et puis s’en va’. Mais un passage du monde au Père, un passage d’un état, d’une façon d’être, à un autre état, une autre façon d’être. Et ce passage, là encore, ce n’est pas seulement celui de la mort, celui que Père Omer a vécu mercredi soir quand son cœur fatigué a décidé d’en rester là. Non, ce passage, ce n’est pas seulement celui où le corps s’arrête. C’est toute la vie qui est passage, toute notre existence qui nous invite, nous attire à passer, changer, évoluer, consentir à se laisser transformer. Sans cesse, nous sommes invités à passer de notre moi, de nos intérêts, de nos préoccupations à plus grand que nous, plus ouvert, plus vivant.

Et Jésus nous dit que nous connaissons le chemin pour emprunter ce passage. Ce chemin, c’est lui, car Jésus ne cesse de passer à son Père, c’est-à-dire qu’il ne considère pas sa vie comme un droit, une propriété, un terrain à préserver ou à défendre, mais comme quelque chose à recevoir d’un autre et des autres, quelque chose à accueillir, à ouvrir.

Il y a de cela dans la vie de Père Omer. Sa facilité à entrer en contact avec chacun, grands ou petits ; d’être à l’écoute, accueillant, et surtout heureux de pouvoir rencontrer. Votre présence ici montre combien vous avez été sensibles à cela, et elle montre combien nous avons besoin les uns des autres, de leur accueil et de les accueillir. Et c’est tout un chemin, tout un apprentissage, avec des échecs, des erreurs, mais aussi et surtout la vie, la joie, l’amour. C’est ce chemin qu’est le Christ et c’est ce chemin qu’il nous invite à prendre à sa suite.

Père Omer a voulu suivre le Christ sur ce chemin, et alors qu’il scrutait son visage - comme il savait si bien le faire dans l’art des icônes - ce sont vos visages (ceux de sa famille, de ses amis, du diocèse, du groupe Chimay, de ces frères moines et sœurs moniales), qu’il a rencontrés, découverts et aimés. On entre au monastère pour chercher Dieu dans le silence, la prière, l’intimité : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. », dit l’apôtre Philippe à Jésus. Telle était la quête de Père Omer. Mais le chemin du Christ, celui qui mène au Père, nous fait toujours passer par les autres. Et c’est la raison pour laquelle Dieu s’est incarné en un homme, pour dire, comme Père Omer l’avait compris, que toute personne est sacrée, digne d’attention et de respect. Quand Jésus dit « Celui qui m’a vu a vu le Père », il dit aussi qu’il y a en chacun le visage de Dieu. Et tout moine, toute personne est appelée à purifier, éliminer tout ce qui vient entraver cette image de Dieu, en soi et dans l’autre. Père Omer ne disait-il pas que ce qu’il y a de plus important dans les icônes, ce sont les visages ? Alors, lui aussi qui disait : « Quand je peins, je prie », comment aurait-il pu ne pas faire bon accueil à nos visages, à nos joies, à nos rides.

Toute personne est un reflet de Dieu. Toute personne est, dans le Fils, fils et fille de Dieu, en qui Dieu met tout son amour, et qu’il faut donc écouter, comme le dit le récit de la Transfiguration dont l’icône, depuis plus de 20 ans, accompagne la prière dans cette église. Et Dieu, comme nous le célébrons en ce temps pascal, n’abandonne jamais son Fils à la mort. Père Omer est parti ; un oncle, un ami, un frère-moine, nous a quitté, mais nous croyons qu’il est en Dieu, qu’il est, comme le dit Jésus, « dans le Père et que le Père est en » lui. Nous croyons que son absence physique n’est pas une absence totale. Vous, qui parfois avait pu vous confier à lui, qui parfois aimerait encore pouvoir le faire, croyez, que c’est encore possible. Croyez que si Dieu fait de nous son image - et qu’à ce titre il nous envoie pour soigner, accompagner, pour dire qu’il marche à nos côtés - croyez que cette image, son action, son amour continuent.

Aujourd’hui, il y a un moine de moins dans l’église, au réfectoire, dans le parc ou dans les entreprises, mais le souffle de vie que Dieu veut pour les hommes et les femmes du monde, et particulièrement pour celles et ceux de cette région de Chimay, ce souffle n’a pas baissé d’intensité. Les rencontres et autres discussions avec Père Omer ne se feront plus, mais il nous faudra trouver, vous comme moi, d’autres visages, rendre possible d’autres rencontres, sur ce même chemin de vie que nous sommes invités à partager ensemble, et d’autant plus aujourd’hui qu’hier.

Frères et sœurs, en cherchant dans le livre les lectures que nous avons entendus ce matin, j’ai découvert un papier manuscrit qui servait de marque page. Il était justement de Père Omer et il s’agissait d’une prise de note pour une homélie pour des funérailles. Il écrivait : « Gardons la mémoire de ce qui avait valeur pour nos défunts ». Alors en cette eucharistie qui nous rassemble, puissions-nous inscrire plus profondément en nous, ce respect et cette écoute de l’autre, et découvrir que l’homme est visage aimant de Dieu.