Saints Fondateurs

(Mc 10, 24b-30)

                                                           26 Janvier 2021

Chers Frères et Soeurs, en cette fête de nos saints fondateurs, je vous propose de relire Le Petit Exorde, l’un des documents qui relatent la fondation et les débuts de Cîteaux.

 

D’abord, un rappel : “C’est Dieu, disent nos pères, qui nous a donné de commencer à mener cette vie.” Ces hommes n’ont pas quitté le monastère de Molesme pour s’installer à Cîteaux par goût ou ambition personnels, mais parce qu’ils y ont été appelés. Ce qui veut dire que certains avaient peut-être des réticences, qu’ils se seraient bien contenter de ce qu’ils vivaient, mais, dans l’écoute et la prière, ils ont su entendre un appel à aller plus loin, à sortir d’eux-mêmes, à “tout quitt(er) pour te suivre” (28), comme le dit Pierre dans l’évangile. Mais pour vivre cet appel, ils nous disent avoir “supporté le poids du jour et de la chaleur, sans (se) décourager”, appliquant “la Règle (qui) montre un chemin difficile et étroit ” disent-ils, et invitant leurs “successeurs”, nous, à se “fatigu(er) jusqu’au dernier souffle”. Alors, si c’est dans la joie que nous célébrons aujourd’hui nos saints fondateurs, nous ne devons pas nous illusionner : cette joie passe par un labeur, ce qu’ils appellent “une mise en ordre de notre vie en pratiquant la Règle”.

Les lettres des contemporains reproduites dans le Petit Exorde ne s’y trompent pas. Tous reconnaissent le désir de nos Pères - je cite - de “servir Dieu (...) en suivant ‘ plus fidèlement et de façon plus parfaite’ la Règle de saint Benoît”, ‘Cette Règle (qu’ils suivaient) déjà [...] mais avec paresse et négligence”. Aujourd’hui, nous sommes donc invités à vivre plus profondément notre Règle et à débusquer nos éventuelles paresses et négligences, non pas comme un exercice de culpabilisation, mais comme un chemin de vie. Et avancer sans crainte sur ce chemin car, comme l’écrit Hugues, l’archevêque de lyon, “ Dieu est généreux : il vous indiquera” un lieu, une façon de le suivre. “Vous y servirez le Seigneur avec plus de profit et dans une plus grande paix”. Et il leur fait cette injonction, qui est désormais pour nous : “ Restez fidèles à ce projet (...). Vivez selon la Règle et soyez bien d’accord entre vous.”

Et c’est “d’un pas léger”, nous dit le texte, qu’ils se mettent en route. Ces hommes ne regardent pas en arrière, vers “maison, [...] frères, [...] sœurs, [...] mère, [...] père, [...] enfants ou [...] terre” (29), qu’ils auraient quittés. Mais ils regardent vers “maisons, frères, sœurs, mères, enfants et terres” (30) à recevoir d’un autre qu’eux-mêmes. Leur tristesse, leur regret, n’étaient pas dans cet arrachement, mais, nous dit l’Exorde, dans le fait de ne pas “suiv(re) la Règle”. Ne pas la suivre, c’est, pour nous les moines, nous enfermer dans la tristesse et le regret. Et je lisais hier ces mots de saint Pierre Damien : « Soit l’on recherche avec tous les efforts la perfection, soit l’on doit supporter l’ennui de tant de malheurs et de tentations ».

Ces moines, Hugues les qualifie encore de “pauvres du Christ [... qui] mettent leur espérance uniquement dans la bonté de Dieu". Et le pape Pascal II les encourage : “Si Dieu met dans le coeur d’un homme le désir très clair de vivre selon le Christ ou de faire du bien aux autres, il faut le réaliser sans retard”. C’est cette obéissance sans délai dont nous parle Benoît. En suivant la Règle, nous dit encore l’Exorde, ces hommes “ont quitté ce qui est égoïste en eux, et chaque moine se réjouit de devenir un homme nouveau [...], libre”. Une vie nouvelle, libérée de l’égoïsme, où Dieu n’est plus un plus, mais un centre.

L’Exorde parle aussi d’un manque de vocations et nous montre ces moines qui “prient Dieu sans cesse [...], crient vers lui [...], pleurent [...], gémissent, jour et nuit, longuement et profondément.” Mais ce n’est pas par souhait de réussir leur entreprise humaine qu’ils prient ainsi, mais parce que, comme le dit le texte, ils “ont découvert [...] une vie très belle [et qu’] Ils désirent vivement partager cette découverte avec d’autres hommes ”. Avons-nous découvert une telle vie ? Avons-nous ce désir que d’autres puissent la vivre ?

Si le Petit Exorde met tant en valeur la Règle et le feu qui animait ces hommes, nous savons aussi qu’il peut être difficile de vivre cette Règle, et qu’“Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu”(25). La Règle nous invite au dépouillement, à la désappropriation, par l’écoute et l’obéissance, la prière et le service. Je ne voudrais donc pas vous “lier sur les épaules de pesants fardeaux”, moi qui ai bien du mal parfois à “les remuer du doigt” (Mt 23,4). Mais croyons, comme nous le dit Jésus, que “tout est possible à Dieu” (27). C’est en lui qu’est notre secours, notre chemin. Répondons avec confiance et engagement à ce regard qu’il pose sur ses disciples comme, quelques versets auparavant, il avait regardé le jeune homme riche, celui qui ne le suivrait pas et que pourtant,  “ il aima” (21).