Noël 2020
(Luc 2,1-14)
Frères et Sœurs, « je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, […] vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. » Eh bien, après une année 2020 si compliquée, et face aux incertitudes qui pèsent encore sur nous pour 2021, il est bon d’entendre une bonne nouvelle. L’entendre et l’accueillir, l’entendre et la faire sienne, c’est-à-dire, comme les bergers, croire que cette annonce de l’ange est réellement pour nous, aujourd’hui, une bonne nouvelle, celle dont nous avons réellement besoin. Alors, dans le contexte qui est le nôtre, de quoi avons-nous besoin ? Sans forcément les opposer, avons-nous besoin d’ « un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur », comme l’annonce l’ange, ou avons-nous besoin d’un vaccin ? Assurément, si ce dernier est fiable, sans risque, un vaccin est évidemment le bienvenu, et je dirais même nécessaire. Mais, sans vouloir inquiéter personne, d’autres pandémies, d’autres catastrophes, d’autres bouleversements de notre quotidien et de notre monde sont encore à venir. Alors certes, il nous faut des remèdes, des solutions, du concret, mais il nous faut aussi apprendre à regarder le monde, notre vie, autrement, et peut-être tout simplement consentir à notre propre fragilité, comme semble nous le dire ce Dieu créateur et tout puissant qui s’incarne dans « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Les contemporains de Marie et de Joseph ont connu eux aussi un grand bouleversement. Le recensement, tel que nous le décrit saint Luc, a chamboulé leur vie. Pour « se faire recenser […] dans sa ville d’origine », ils ont dû quitter leurs habitudes et leur confort pour, à l’instar de Marie et de Joseph, se retrouver certainement à l’écart, dans un endroit improbable, « car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune ». Et c’est là que Marie « mit au monde son fils premier-né ». Derrière l’assurance de l’empereur, cet épisode met là encore en lumière la fragilité de nos vies, de ce que nous cherchons à construire, des sécurités dont nous nous revêtons. Mais en décrivant ainsi la nuit de Noël, Luc veut mettre en valeur un bouleversement plus profond. Celui que nous avons suivi durant ce temps de l’Avent, celui qui a vu une jeune fille, Marie, dire « oui » à cette parole de l’ange qui venait pourtant bouleverser complètement sa vie. Celui qui a vu un homme, Joseph, renoncer là aussi à toute une façon de concevoir sa vie et son futur, pour consentir à entrer dans un avenir incertain. Rien de ce que nous entendons en cette nuit n’aurait pu avoir lieu si des êtres fragiles, esseulés, n’avaient accepté de s’ouvrir à l’inconnu, à l’irruption de la nouveauté ; s’ils n’avaient choisi de prendre leur part de risque. Car peut-être est-ce cela la bonne nouvelle qu’il nous faut accueillir, qu’il nous faut incarner : accepter notre fragilité en choisissant de prendre le risque de la vie.
Quelqu’un a dit que la vie n’était pas un bien à préserver, mais un risque à prendre. Mais, qu’il nous est souvent difficile de prendre ce risque ; qu’il nous semble préférable de nous cantonner à notre confort, au déjà-vu. Et pourtant, nous le percevons bien avec cette pandémie, ou encore avec la question du réchauffement climatique : si nous ne prenons pas le risque de la vie, si nous ne nous laissons pas interroger par elle, déplacer par elle, c’est le risque, et bien plus les dangers, qui viendront de toute façon jusqu’à nous. Le Christ, en entrant dans le monde, vient nous inviter à sortir, ou plutôt nous pourrions dire qu’en entrant dans le monde, il vient nous inviter à y entrer avec lui. « N’ayez pas peur », nous dit-il. Nous n’avons à fixer notre attention sur l’actualité médiatique de notre monde que dans le seul but d’entendre ce que cette actualité a à nous dire. Non pas la peur ou la perte, mais une invitation à changer, à accueillir ce qui nous tend la main, à être disponible, ouvert, pour que du nouveau puisse être engendré.
Chaque année nous fêtons Noël, mais cette nuit nous voyons clairement que chaque Noël, s’il dit le même mystère, s’incarne différemment. Que nous dit-il alors, ce Noël dans ce monde d’aujourd’hui ? A quel ‘oui’ nous invite-t-il ? A quelle naissance ? A quelle sécurité devons-nous renoncer pour laisser la vie circuler ? Et quelle fragilité devons-nous manifester aux regards de tous les bergers pour que les anges puissent « lou(er) Dieu en disant : ‘Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime’ » ? Oui, frères et sœurs, pour vivre cette naissance à nous-mêmes et au monde, pour assumer le risque et la fragilité de nos existences, pour entrer dans la nouveauté de la vie, celle de chaque jour, celle de chaque crise, nous avons besoin d’un Sauveur et Seigneur qui creusera en nous la mangeoire de la confiance. En cette nuit, il attire humblement nos regards vers la crèche, petite flamme fragile qui embrase et enchante ciel et terre.