Homélie funérailles de Père Paul Roty
(Mt 25,14-29a)
18 novembre 2020
Chers Frères et Sœurs, si nous avons choisi ce passage de saint Matthieu pour les funérailles de Père Paul, vous comprenez bien que ce n’est pas en raison du troisième serviteur. C’est cet évangile qui a résonné à nos oreilles, à nos cœurs, à nos vies le jour-même où Père Paul, « serviteur bon et fidèle… entrait dans la joie de son Seigneur. » Et si nous nous penchons sur son corps qui est là, au milieu de nous, nous pouvons – même si c’est évidemment subjectif - y percevoir un visage satisfait, qui savoure enfin pleinement de goûter ce qu’il a cherché toute sa vie, Celui pour qui il a œuvré dans la vie monastique pendant quatre-vingt-une années, Celui qu’il a profondément aimé. C’est ce qu’exprime notamment cette phrase que nous avons inscrite sur le faire-part, phrase écrite de sa main sur un petit bout de papier retrouvé parmi tant d’autres dans un de ses livres, phrase qui dit combien Père Paul désirait vivre auprès de son Seigneur, maintenant et éternellement : « Mon bonheur est immense quand je suis près de Toi »… « Mon bonheur est immense »…
Alors oui, Père Paul nous semble être ce « serviteur bon et fidèle » dont parle l’évangile. Mais s’il l’est, ce n’est pas comme ces deux premiers serviteurs qui, dans le contexte de la parabole, nous apparaissent comme des hommes entreprenants, audacieux, des leaders. Non, Père Paul, malgré ses capacités, ses talents, ses dons, a préféré la voie cachée, a choisi le chemin de l’humilité, la voie royale pour un moine de saint Benoît. Les talents que le maître lui a confiés n’étaient rien d’autre qu’un peu d’amour, un peu de présence, du temps à passer, à dépenser ensemble, l’un pour l’autre. Et ce temps, Père Paul a consenti, a désiré en effet le passer avec son Seigneur, plutôt que d’aller le dépenser, le risquer, voire le gaspiller ailleurs. Père Paul n’a pas compté son temps, contrairement à ce troisième serviteur qui rend à son maître ce que celui-ci lui a donné, ni plus, ni moins. Et ce temps vécu ensemble, à deux, a fructifié. Plus Père Paul prenait le temps de s’assoir dans l’Eglise, la sacristie, l’hôtellerie, sa chambre ou ailleurs, pour être avec son Seigneur, plus ce temps s’accroissait, prenait de l’ampleur, pour être, aujourd’hui, éternité. Plus il offrait sa simple présence au Seigneur, plus celui-ci lui ouvrait la sienne, et Père Paul, avec nous, autour de nous, devenait présence, présence de Celui qu’il aimait, serviteur bon et fidèle, humilité qui s’effaçait pour laisser rayonner la Présence. Car cette intimité avec Dieu n’était évidemment pas fermée sur elle-même. Sans démonstration, avec beaucoup de discrétion et de délicatesse, Père Paul avait appris de cette présence une véritable charité pour chacun de ses frères, une attention, une écoute, une présence. Car, soyons en sûr, bien souvent il nous a pris avec lui – un par un, ou tous ensemble – dans son commerce d’amour avec le Seigneur.
Saint Benoît nous demande « Quel est l’homme qui veut la vie et désire voir des jours heureux ? » Et Père Paul a répondu : « C’est moi ». Et cette vie, cette vie éternelle, c’est dès ici-bas qu’il l’a voulue. Et je cite la suite de la Règle parce qu’il semble que notre frère a tout simplement appliqué ce qu’il a entendu : « Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, interdis le mal à ta langue et à tes lèvres toute parole trompeuse ; détourne-toi du mal et fais le bien ; cherche la paix avec ardeur et persévérance. » (Prologue, 15-17). Cet homme de prière s’est laissé façonner par Dieu, façonner par sa relation avec Dieu. Il n’avait pas d’autre boussole, pas d’autre projet, pas d’autre attente. « Jetez-vous dans les bras du Seigneur », aimait-il dire parfois à ceux qui se confiaient à lui. Et c’est ce qu’il a fait dans une vie toute simple faite de service et de prière, de régularité et de persévérance.
Chers Frères et Sœurs, mes chers Frères de Scourmont, permettez-moi de réécrire la parabole, de la surplomber d’une autre interprétation, et de nous dire qu’aujourd’hui, le maître, c’est aussi Père Paul. Il est parti en voyage et il nous a confié, à chacun, des talents, ceux de la fidélité, de la prière, de l’humilité, ceux dont sa vie témoignait, et il attend de nous que nous les fassions fructifier. Peut-être serions-nous tentés, si ce n’est déjà fait, de nous tourner vers le ciel et de demander à Père Paul de nous aider, de nous convertir, de faire de nous de vrais moines, ou encore de nous envoyer des vocations. Mais Père Paul pourrait nous répondre qu’il nous a déjà tout donné, tout montré, tout dit, et que, ces talents en mains, nous n’avons plus qu’à les faire fructifier.
Dans moins d’une heure, dans la terre de Scourmont, le témoin, l’ami de l’époux, s’effacera de nouveau pour laisser toute la place au Ressuscité, Lui qui donne la vie et qui vient auprès de chacun de nous. Alors, Frères et Sœurs, chacun avec nos talents, laissons-nous emporter par cette présence, façonner par cette parole, engendrer par le souffle de la vie éternelle.