21e dimanche ordinaire C - Août 2016

 Il y a quelques semaines, nous avons entendu le passage de la Genèse où Abraham marchande avec Dieu pour tenter de sauver Sodome de la destruction. Vous vous souvenez que dans toute cette ville, on ne trouvera pas dix justes, et qu’ils seront finalement quatre à pouvoir s’échapper : Loth et sa famille ; et encore sa femme, se retournant, sera changée en colonne de sel.

 

La question posée aujourd’hui à Jésus nous met un peu dans la même perspective d’un salut pour une infime minorité : « Seigneur, n’y a-t-il que peu de gens qui soient sauvés ? » En appliquant le ratio de Sodome à notre assemblée, il y aurait parmi nous probablement une ou deux personnes sauvées, et les autres seraient condamnées au feu éternel. Alors quand nous entendons Jésus nous dire de nous « efforcer d’entrer par la porte étroite », nous pourrions avoir le sentiment que la vie serait comme une épreuve des jeux olympiques où il nous faudrait absolument arriver les premiers jusqu’à cette porte, ce qui ressemblerait à une compétition sans pitié, ou tout simplement à un sauve-qui-peut.

Voilà un étrange salut qui nous serait proposé, une vie bien dérisoire, et un triste Sauveur, dont la « route vers Jérusalem » et la croix qui l’y attend perdraient tout leur sens.

Il semble donc plus raisonnable et plus conforme au salut apporté par Jésus, de l’envisager comme le décrit Isaïe dans la première lecture : Dieu « vient rassembler toutes les nations » et, comme le dit Jésus, « on viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi ». Une foule immense, un salut débordant, où cette fois le ratio est inversé puisqu’il est peu probable que l’un de nous en soit exclu.

 

Si besoin était, nous voilà donc rassurés sur ce qui nous attend au terme de notre vie. Mais notre souci immédiat ne doit pas être de savoir ce qui se passera après, mais maintenant ! Le salut est d’abord pour aujourd’hui, et c’est pour cela que nous devons nous « efforcer d’entrer par la porte étroite ».

Nous croyons en Dieu, au Christ ressuscité et, comme le dit le texte, « nous avons mangé et bu en (sa) présence, et (il a) enseigné sur nos places » ; c’est ce que nous faisons présentement en cette eucharistie. Mais franchement, qu’est-ce que ça change vraiment à notre vie quotidienne ? Et disons-le, est-ce que notre foi nous demande parfois des efforts, des combats ? Le pape François rappelait aux jeunes à Cracovie que « nous ne sommes pas venus au monde … pour faire de la vie un divan qui nous endorme… Pour suivre Jésus, disait-il, il faut avoir une dose de courage, il faut se décider à changer le divan contre une paire de chaussures ». Se mettre en route à la suite de Jésus vers Jérusalem où il va tout donner ; se laisser façonner par la justice qu’il nous apporte et la pratiquer à notre tour ; chaque jour, passer, dépasser la porte étroite. S’efforcer donc, s’engager, faire des choix quotidiens en cohérence avec notre vocation, pour non seulement vivre davantage le salut, la Vie, mais aussi pour aider et aimer nos frères et sœurs sur leur chemin. C’est aujourd’hui que le Christ nous appelle et c’est aujourd’hui que nous avons à être sauvés. Si nous attendons demain ou le dernier jour, il sera trop tard pour accueillir ou donner ce qui a été perdu. Oui, c’est aujourd’hui que dans son amour et dans sa joie, il nous invite, il nous veut « au festin dans le Royaume », en communion avec le Père et avec lui ; vivants !

C’est donc maintenant que nous devons nous efforcer de vivre de ce Royaume, d’orienter vers lui notre volonté et nos désirs, si nous voulons que le salut, la paix, l’amour habitent davantage notre monde éprouvé.

 

Alors évidemment nous savons qu’entre notre bonne volonté et nos actes, il y a souvent un écart, si ce n’est un abîme. S’efforcer consistera donc à reprendre notre ouvrage, à ne pas désespérer, afin de vouloir encore, chaque jour, recueillir un peu de ce qui est donné, de ce qui est semé. S’efforcer, c’est finalement moins passer par la porte étroite, que de permettre à la grâce de passer par la porte étroite de notre cœur, de notre égoïsme beaucoup moins confortable et sécurisant que nous l’imaginons. Et c’est bien de cela que le Christ vient nous sauver aujourd’hui même, de cette mort, de cette illusion de vie et de bonheur que nous nous façonnerions jalousement, et qui ne nous mènerons qu’à une porte désespérément fermée.

Avant d’être après la mort, nous savons que l’enfer peut être ici-bas en Belgique, en Syrie, au Congo ou ailleurs. Nous savons aussi que la mort, la mort de la Vie, la mort de la joie, peuvent être là bien avant la mort biologique. Et c’est au cœur de ces ténèbres que nous devons chercher le rayon de lumière né de cette porte étroite comme entrouverte, ce rayon qui ne s’éteindra pas si nous nous efforçons, chaque jour, de resplendir un peu, juste un peu, de sa lumière.