Premier dimanche du carêmeannée B

Scourmont 21 février 2021

Gn 9, 8-15 – Ps 24 (25), 4-5ab, 6-7bc, 8-9

1 P 3, 18-22– Mc 1, 12-15

L’Alliance, une initiative de Dieu

« Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous. » Avons-nous remarqué cette promesse de Dieu à Noé dans la première lecture ? Dieu fait alliance avec l’humanité pour qu’elle n’ait plus à souffrir de cataclysme comme le déluge. Nous aurions pu penser qu’il serait revenu aux hommes de se tourner vers Dieu pour chercher secours auprès de lui. Non, c’est Dieu qui prend l’initiative. C’est là un point capital de notre foi jud éo-chrétienne : c’est Dieu qui est à l’origine de notre foi. Si nous devons nous tourner vers lui, ce n’est pas d’abord pour implorer son secours, mais pour recevoir le secours que lui nous offre. Lorsque nous parlons de l’Ancienne Alliance ou de la Nouvelle Alliance, il ne s’agit pas de l’alliance des hommes avec Dieu, mais de l’alliance de Dieu avec les hommes. « Voici que moi, j’établis mon alliance avec vous. » Et d’ailleurs, dans le passage de l’évangile selon saint Marc lu ce dimanche, il n’est pas dit que Jésus part au désert de son propre mouvement, mais que « l’Esprit pousse Jésus au désert » : c’est toujours Dieu qui a l’initiative ; Jésus lui-même vit dans l’obéissance à Dieu.

 

Relisons, dans cette perspective, la seconde lecture, tirée de la première lettre de saint Pierre. « Le Christ a souffert pour les péchés afin de vous introduire devant Dieu. » Tout nous vient de Dieu, par le Christ ; il nous faut seulement consentir à son action en nous. C’est sur l’ordre de Dieu que Noé avait construit l’arche : « Fais-toi une arche en bois résineux… Entre dans l’arche, toi et toute ta famille… » (Gn 6, 14 ; 7, 1). Et nous savons que l’arche de Noé était une figure du baptême qui nous sauve maintenant, par la résurrection de Jésus Christ (cf. 2e lecture). Pour nous sauver du déluge du péché, Dieu a évidemment besoin de nous, de l’engagement de notre conscience droite ; nous devons consentir au salut qu’il nous offre, non pas seulement en paroles, mais aussi dans les faits, en particulier dans les moments délicats que sont les tentations.

Le temps du désert est le temps de la rencontre privilégiée avec Dieu, mais aussi le temps de la tentation. La formule de saint Marc, « Jésus resta quarante jours dans le désert, tenté par Satan », donne à penser que Jésus n’a pas eu à affronter quelques tentations spécifiques, mais plutôt qu’il a été, durant toute cette période, comme en état de tentation. Cette situation de vie au désert est, en effet, une situation de tentation : on est dans une condition matérielle difficile ; on n’a pas le soutien des autres ; Dieu ne se manifeste pas forcément. Alors on est tenté de s’éloigner de lui. Car c’est bien cela le mal suprême, la tentation radicale : s’éloigner, se couper de Dieu. Si, durant les quarante ans de séjour au désert du peuple de l’Exode, Dieu s’était manifesté parfois à lui de manière spectaculaire, durant les quarante jours de Jésus au désert, il n’est pas dit dans les évangiles que Dieu se manifeste à lui de manière extraordinaire. Matthieu et Luc explicitent trois tentations spécifiques ; pour Marc, Jésus est aussitôt après son baptême comme en état de tentation durant quarante jours.

Pour nous aussi, à la suite de notre baptême, toute notre vie chrétienne est un temps de tentation. Dieu nous offre sa grâce, son aide, son soutien, et nous sommes pourtant tentés de vivre pour notre propre compte, pensant à tort, et pas forcément de manière consciente, que nous n’avons pas besoin de lui pour vivre notre vie humaine, qu’il existerait aussi une possibilité de vivre sans lui. Vouloir nous sauver nous-mêmes : telle est la tentation fondamentale, source de toutes les épreuves qui tendent à nous séparer de Dieu. Comme Jésus, nous vivons parmi des bêtes sauvages, c’est-à-dire les pensées mauvaises qui nous accablent (comme le montre bien la nature des trois tentations chez les deux autres évangélistes), et les anges de Dieu nous servent, c’est-à-dire les envoyés de Dieu, sa grâce, et, au fond, Dieu lui-même. Oui, Dieu lui-même se met à notre service. Jésus a beaucoup insisté sur ce point : « Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir. » C’est la bonne nouvelle qu’il est venu annoncer : en lui, par son service, Dieu est venu sauver ce qui était perdu.

En vous disant tout cela, je n’ignore pas les problèmes du monde, de notre monde d’aujourd’hui : nous en sommes tous bien conscients. Et les chrétiens doivent faire tout ce qu’ils peuvent pour les affronter ; ils doivent lutter pour la justice et la paix, pour l’unité entre les peuples, pour que tous aient des conditions de vie décentes, et nous connaissons l’ampleur des défis qui doivent être affrontés. Mais, avant tout cela, pour réaliser tout cela, le chrétien doit affronter le défi de sa conversion personnelle : ne pas se laisser vaincre par le démon qui veut le tenir loin de Dieu ; renoncer à vouloir se sauver par lui-même ; entrer en communion avec tous, à commencer par ceux qui ont été baptisés comme lui dans la mort et la résurrection du Seigneur.

Relisons, pour finir, quelques paroles du psaume entendues après la première lecture : « Seigneur, … fais-moi connaître ta route. Dirige-moi par ta vérité… car tu es le Dieu qui me sauve [toujours l’initiative de Dieu] … le Seigneur… sa justice dirige les humbles, il enseigne aux humbles son chemin. » Nous savons désormais ce qu’il nous reste à faire durant ces quarante jours : dans l’humilité, nous laisser diriger, guider par Dieu : c’est lui seul qui, au milieu des tentations et des épreuves, peut nous conduire à la Terre promise, au pays de la Résurrection. Et alors, comme Jésus après l’épreuve du désert, nous pourrons répondre à l’appel de Dieu qui nous envoie prêcher au monde la Bonne Nouvelle : « Convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »