A NOEL JOUR JEAN 01,01-18 (8)

Chimay : 25.12.2022

Frères et sœurs, les sensibilités dans l’approche du mystère de Noël sont diverses, comme en témoignent les évangiles de Luc et de Jean proposés respectivement à notre méditation aux messes de la nuit et du jour de Noël. Et pourtant, c’est le même Christ que nous adorons.

Luc nous a invités à contempler Jésus, emmailloté et couché dans une mangeoire en ce lieu bien précis de Bethléem, sans oublier toutefois de suggérer sa divinité par l’irruption des anges annonçant qu’il est bien le Messie attendu, le Sauveur. Avec le prologue de l’évangile de Jean, le chercheur de Dieu est transporté dans une ambiance tout autre, intemporelle et irreprésentable. Il est convié à méditer sur l’incarnation du Verbe éternel, ce « Fils ... par qui » Dieu « a créé les mondes » et qui « porte l’univers par sa parole puissante » (He 1,2.3).

Vraie lumière, à l’œuvre dans le monde depuis les commencements, il a choisi de « dresser sa tente parmi nous » – si l’on s’en tient au verbe grec utilisé par Jean. Ce qui renoue avec la tradition vétérotestamentaire du Dieu nomade, cheminant avec son peuple mais demeurant insaisissable. Quoi qu’il en soit, des témoins ont « vu sa gloire », autant dire le rayonnement de sa divinité. Et quelle était cette gloire ? Saint Jean nous dit que « Dieu est amour » (1 Jn 4,8).

« Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour ». Celui qui n’aime pas est en contradiction avec la nature même de Dieu. L’amour fraternel entre chrétiens est le reflet de l’amour divin.
On entend des réflexions de ce genre : « Si Dieu aimait ses créatures, permettrait-il tant de souffrances et d’injustices ? » Nous devons considérer l’amour de Dieu (qui laisse momentanément les humains libres de se faire du mal à eux-mêmes et aux autres) non dans les limites d’une courte vie terrestre, mais dans la perspective de l’éternité. Si vous voulez apprendre ce qu’est l’amour divin, absolu, infini, pensez à la croix, à Dieu donnant son Fils bien-aimé pour le salut de ses ennemis, de ceux qui le crucifient. On comprendra alors que le misérable état moral de l’homme met justement en évidence la grandeur de la grâce qui nous a pris si bas pour nous élever si haut : faire de nous non seulement des pécheurs pardonnés, mais des enfants de ce Dieu d’amour, ce que Jean explicite avec poésie et profondeur.

Êtes-vous déçu par l’amour humain, de sa forme la plus noble à sa pire contrefaçon ? Ne vous en étonnez pas ; il sera toujours insuffisant, pas même une goutte d’eau, pour remplir le grand vide de votre cœur. Nous avons tendance à aimer ceux qui nous aiment, chacun attendant que l’autre commence. Et, dans notre monde actuel où l’égoïsme prévaut, cela restreint singulièrement le cercle des affections. Nous nous plaignons peut-être de manquer de l’amour des autres, mais leur en donnons-nous ? Ne vivons-nous pas, nous aussi, centrés sur nous-mêmes ? Notre logique humaine veut aussi que, par définition, nous aimions ce qui est aimable. Il s’ensuit que les relations les plus chaleureuses ne tiennent bon que dans la mesure où nous nous cachons les uns aux autres nos mauvais côtés. Et quand ceux-ci se découvrent, alors surgissent les discordes, les brouilles, les divorces. Nous sommes déçus des autres, et eux le sont de nous.

L’amour de Dieu, lui, est une plénitude, un océan, une source que jamais nous n’épuiserons. Dieu s’est révélé dans l’ancienne alliance comme le Dieu tout-puissant, le Très-Haut, proche mais trois fois saint, impénétrable par l’esprit humain. Il s’est révélé à Moïse comme Celui qui est depuis toujours et pour toujours. Il se révèle dans la nouvelle alliance comme le Père de ceux qui croient en Jésus-Christ. Dans la première épître de Jean, sont écrits ces mots si grands, si pleins de douceur : « Dieu est amour ». L’amour de Dieu n’est pas quelque chose d’abstrait, c’est un amour actif, un amour qui se livre. L’amour de Dieu nous est révélé en Jésus, le Fils de Dieu, devenu homme pour s’approcher de nous (Ac 10,38). « Dieu prouve son amour envers nous, en ce que, lorsque nous étions encore des pécheurs, le Christ est mort pour nous » (Rm 5,8). Dieu aime les humains tels qu’ils sont. Dieu a trouvé un motif à son amour pour nous. Il nous aime, non parce que nous sommes aimables, mais parce qu’il est dans sa nature d’aimer. Il aime tous les hommes, y compris les plus coupables. Si Dieu qui est saint hait le péché, Dieu qui est aussi amour aime le pécheur.

De la vérité « Dieu est amour », l’apôtre Jean tire cette déduction : « celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu ». L’argument est clair et irrésistible. Un chrétien dépourvu d’amour qui affirme connaître Dieu et être né de Dieu est comme celui qui déclare être intime avec un étranger dont il ne peut pas parler la langue, ou être né de parents auxquels il ne ressemble en aucune façon. Agir ainsi, c’est ne pas refléter la nature de celui que nous déclarons être notre Père et notre ami. La connaissance de Dieu est liée à l’amour à travers la nouvelle naissance. En effet, puisque « Dieu est amour », celui qui est « né de Dieu » porte les caractères de son Père parce que « l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (Rm 5,5).

Luc et Jean se révèlent par conséquent complémentaires. Chacun suscite en notre cœur des réactions spécifiques. Si la lecture de Luc favorise la part imaginative et conduit aisément au type d’approche prôné par Aelred de Rievaulx (xiie s.) ou Ignace de Loyola (xvie s.), invitant à « entrer dans la scène », à la visualiser, Jean incite plutôt à la lecture initiée par Jean Cassien (ive-ve s.). Dans celle-ci, il s’agit de se libérer au maximum des représentations et de se laisser travailler par les paroles du texte, répétées jusqu’à ce qu’elles dégagent leur saveur. Le Christ, vrai Dieu et vrai homme, « consubstantiel au Père » (tel que récité dans le Credo) déborde nos capacités d’entendement, certes, mais il ne s’en donne pas moins à rencontrer au plus concret de notre humanité. L’incarnation, c’est l’irruption de Dieu dans notre monde. Il nous arrive de ne pas reconnaître certaines personnes, soit parce que le temps a fait son œuvre ou que la personne a beaucoup changé, soit parce que, une fois pour toutes, nous avions collé une étiquette sur cette personne.

L’évangile de ce jour de Noël nous rappelle une chose semblable : « Il était dans le monde... mais le monde ne l’a pas reconnu » (Jn 1,10). Le monde ne l’a pas reconnu non parce que le temps avait fait son œuvre ou que Dieu avait beaucoup changé, mais parce que des hommes avaient collé sur Dieu une étiquette : Dieu Très-Haut, Dieu tout-puissant, Dieu éternel... et que ces hommes avaient oublié que Dieu se nomme aussi : Dieu Père, Dieu Sauveur, Jésus c’est-à-dire le Seigneur sauve, Dieu parmi nous, Emmanuel... Ce Dieu-là, le reconnaissons-nous chaque fois que quelqu’un frappe à notre porte et nous invite à l’aimer, ne serait-ce qu’un peu ? C’est vrai, ce Dieu-là n’est pas semblable au Dieu inoffensif de nos crèches ou de nos statues ou encore de nos cartes de Noël. C’est le Dieu qui scrute nos regards et nos cœurs et qui nous appelle à l’imiter quoi qu’il en coûte. C’est le Dieu que la Vierge a reconnu d’emblée lorsque l’archange Gabriel est venu la bousculer, et c’est ce Dieu que la Vierge a suivi jusque sous la croix du Vendredi saint. Ce Dieu est le Dieu de l’Évangile, le Dieu qui nous fait signe de jour en jour. « La lumière aujourd’hui a resplendi sur nous, chante Isaïe, un Sauveur nous est né ! » (Is 9,1.5). Lumière des hommes apte à vaincre les ténèbres de ceux qui l’accueillent.