C TOUSSAINT MATTHIEU 05,01-12a (9)

Chimay : 01.11.2022

Frères et sœurs, en cette fête de la Toussaint, tout comme au jour de Pâques, nos églises accueillent plus de fidèles que les autres dimanches. Ils sont nombreux ceux et celles qui ont choisi de revenir sur leur paroisse d’origine. Ce qui les motive tous, c’est le souvenir de leurs parents défunts. Mais en cette fête de tous les saints, nous devons aussi réentendre cette parole de l’Évangile : « Ne cherchez pas parmi les morts celui qui est vivant » (Lc 24,5). Et nous n’oublions pas cette réponse du Christ : « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants » (Lc 20,38).

C’est cette bonne nouvelle que nous trouvons dans le livre de l’Apocalypse (7,2-14). Il nous parle d’une foule immense que nul ne peut dénombrer. Une foule immense qui est déjà près de Dieu et du Christ. Tous ces gens viennent de divers horizons, du monde juif mais aussi du monde païen. Au-delà des épreuves et des persécutions qu’ils ont subies, ils découvrent le Christ, l’Agneau de Dieu, « qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29). Il est celui qui nous recrée à son image et à sa ressemblance (Gn 1,26). C’est une manière de rappeler aux chrétiens persécutés que le mal n’aura pas le dernier mot. L’amour est plus fort que tout. Nous attendons le triomphe définitif du Christ sur le mal.

Saint Jean (1 Jn 3,1-3) vient renforcer ce message. Il nous rappelle que nous sommes « les enfants bien-aimés de Dieu » (Ep 5,1). Nous sommes tous appelés à partager sa gloire. Cette sainteté n’est pas quelque chose que nous pouvons acquérir par nos seules forces ni en accomplissant des performances spirituelles ; c’est Dieu qui nous la communique, même à nous, pauvres pécheurs. Il fait de nous ses enfants en son Fils, Jésus Christ. Ce qui nous est demandé, c’est d’avoir les mains et le cœur ouverts pour accueillir ce don qui est en Dieu. Nous vivons des situations difficiles mais si nous nous attachons au Christ, rien ne peut nous séparer de son amour (Rm 8,38).

Dans l’Évangile de Matthieu, nous entendons le Christ qui nous appelle tous au vrai bonheur. Il nous montre la route à atteindre, la vraie béatitude, la route qui conduit au ciel. C’est un chemin difficile à comprendre parce qu’il va à contre-courant de celui que proposent le monde libertin qui est le nôtre, la société économique qui nous appauvrit et la sagesse populaire qui ne pense qu’à jouir. Pour beaucoup, le vrai bonheur : c’est de vaincre ses ennemis et de les dominer, plutôt que de leur pardonner ; c’est d’être riche et en bonne santé plutôt que pauvre et malade. Et pourtant, nous voyons bien que les richesses du monde ne suffisent pas à nous combler. Le seul qui peut vraiment nous combler et nous rendre heureux, c’est le Seigneur. En allant à lui et en le suivant, nous choisissons « la meilleure part » (Lc 10,42). Mais ce n’est possible que si nous ne sommes pas accaparés par nos richesses, et surtout si nous y croyons.

Aujourd’hui, Jésus nous parle du bonheur de ceux qui sont « pauvres de cœur… de ceux qui sont persécutés pour la justice… de ceux qui ont un cœur pur et qui sont miséricordieux » (Mt 5,1.7.8). Ces béatitudes sont la charte du Royaume. Elles nous montrent que le Christ est venu nous ouvrir un chemin. Ce passage est rude et étroit. Mais nous ne sommes pas seuls ; le Seigneur est là pour nous guider. Il nous conduit vers la Lumière de la Vie. Ses paroles sont celles de la Vie éternelle (Jn 6,68).

En 2016, une chanson de Christophe Maé a fait fureur : « Il est où le bonheur, il est où ?[1] » Pour nous croyants, où est le bonheur ? Dans les contrées terrestres ? Dans les sphères célestes ? Et est-il possible d’être heureux à la fois ici et plus tard, dans l’au-delà ? Ou bien des traits cireux présagent-ils une félicité sans fin, et trop de jovialité aujourd’hui mènerait-elle à la ruine le corps sans souffle ? Qu’en affirment les Béatitudes ? C’est un chemin de bonheur qu’offre Jésus. Un chemin, car il envisage des situations d’épreuve : pauvreté, larmes, persécutions. Et il encourage certaines entorses à la « virilité » : douceur, miséricorde, esprit pacifique, compassion. Un chemin donc, une mise en route, mais qui mène au bonheur. Et à quand ce bonheur ? Est-il réservé aux vertueux trépassés ? Allons, donc. Quoique les yeux levés vers le Ciel, les saints s’empêchaient-ils d’irradier la joie et la bonté ? Bien au contraire. Bonheur sur terre et au Ciel ne sont point incompatibles. Nous sommes appelés à une sainteté joyeuse. Dès à présent, à travers notre misère et notre détermination à aimer, la lumière du Christ peut passer à travers nous, comme par un vitrail. « Heureux soient les fêlés, car ils laisseront passer la lumière », affirmait le cinéaste Michel Audiard. Une lumière rouge, verte, bleue, or, tamisée au creux de nos blessures, de notre fidélité, de notre foi, de nos espoirs.

Chacune de ces béatitudes est comme une lumière sur notre chemin. Elle nous garantit que nous ne nous trompons pas, que nous sommes en marche vers la sainteté. C’est ce chemin qui a été vécu par le Christ : pauvre de cœur, doux, miséricordieux, artisan de paix, ardent défenseur de la justice. C’est ce chemin qui a été suivi par les saints que nous fêtons en ce jour. L’Église est fière de nous montrer ceux et celles qui ont vécu au mieux les béatitudes. Nous pensons à tous ceux et celles qui ont marqué l’histoire humaine et chrétienne, les apôtres, les martyrs, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui. Mais la sainteté n’est pas offerte à quelques élites : elle est pour tous. Pour y parvenir, il suffit de laisser le Seigneur agir en nous. Il est « le Chemin, la Vérité et la Vie » (Jn 14,6) ; c’est par lui que nous allons au Père.

La fête de la Toussaint, tout comme celle de Pâques, nous appelle à la joie et à l’espérance. L’Évangile de Jésus est la bonne nouvelle de la joie et du bonheur. Le mal qui accable notre vie et notre monde n’aura pas le dernier mot. Le Christ nous invite à accepter les insultes, la persécution, les fausses accusations, par amour pour lui. Il nous demande de présenter « l’autre joue », de pardonner à nos ennemis et de prier pour eux. Ce « par amour pour lui » a saisi les cœurs d’innombrables saintes âmes au long des siècles. Ce n’est que quand nous bénissons ceux qui nous font du mal que nous aimons vraiment le Christ, car pardonner à ceux qui nous calomnient, exige un véritable héroïsme chrétien. Comme il est facile de critiquer les autres et de juger faussement. Les bavardages détruisent beaucoup de vies et quand il en arrive à nos oreilles, puissent-ils s’éteindre là et mourir !

Le Christ ressuscité veut nous associer tous à sa victoire sur la mort et le péché. Cette bonne nouvelle est pour tous, même pour les plus grands pécheurs. Pensons à Pierre qui avait renié le Christ, à Marie-Madeleine que le Seigneur a libéré de sept démons, à Zachée dont nous entendions parler dimanche, à Paul qui avait persécuté les chrétiens, à saint Augustin qui avait passé une partie de sa vie dans la débauche, et à tant d’autres… Leur rencontre avec le Christ a complètement bouleversé leur vie. C’est ce qu’il veut aussi pour chacun de nous : il est capable de venir nous chercher très loin et très bas.

En communion avec tous les chrétiens du monde et avec tous les saints, nous rendons grâce au Seigneur pour cet amour qu’il nous donne sans compter. Et demandons-lui qu’il fasse de toute notre vie une marche vers ce Royaume auquel nous sommes tous appelés.

 

[1] Christophe Maé, Paul Ecole, Album L’Attrape-Rêves, Warner Music.