B 14 MARC 06,01-06 (12)

Chimay : 04.04.2021

 

Frères et sœurs, l’évangile de ce dimanche ressemble beaucoup à ce que nous pouvons vivre dans nos milieux. La vie apporte du neuf et de l’inattendu mais nous avons du mal à prendre en considération les interpellations des personnes que nous pensons bien connaître. Et pourtant beaucoup de gens peuvent nous interpeller et nous faire signe au nom de Dieu. Heureux ceux qui sont prêts pour cette rencontre ! Mais parce que nous connaissons les gens de notre entourage, nous les ignorons et même, quelquefois, nous les méprisons. Nous estimons qu’ils n’ont pas à venir nous faire la leçon.

 

C’est ce qui est arrivé à Jésus lorsqu’il retourna dans son village d’origine. Il s’est mis à proclamer « que l’Esprit de Dieu repose sur lui, que le Seigneur l’a consacré par l’onction, qu’Il l’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu’ils sont libres, et aux aveugles qu’ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordée par le Seigneur » (Lc 4,18). Face à de telles affirmations, les gens de Nazareth sont choqués, scandalisés : pour qui se prend-t-il ? Le charpentier du village peut-il nous apprendre quelque chose sur Dieu ? Comment croire que par un personnage banal, un familier de notre existence, le Seigneur puisse s’adresser à nous ? Il n’y a que Dieu qui peut parler ainsi. Lui, Jésus, il est de chez nous. On l’a vu grandir et devenir charpentier. Nous le connaissons trop bien et toute sa parenté. D’ailleurs Nathanaël ne dira-t-il pas : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1,46). Voilà donc Jésus empêché d’être reconnu comme Messie. « Il est venu chez les siens et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1,11), écrira saint Jean. 

En fait il s’agit du mystère de Jésus. Seule la foi peut nous aider à le percer. Nous l’avons vu dans l’évangile de dimanche dernier : il y était question de la foi de Jaïre et de la femme malade (Mc 5,21-43). C’est par la foi qu’ils ont pu rencontrer Jésus et retrouver la vie. C’est important pour nous de le savoir, car la foi ne vient pas au terme de grands raisonnements ou de longues réflexions ; ce qui est premier c’est la rencontre du Seigneur, c’est l’accueil de sa parole et de son amour. Nous grandissons avec la parole de Dieu que nous accueillons. « Quiconque a eu une rencontre personnelle avec le Seigneur aura toujours dans l’histoire de sa vie un avant le Christ et un après le Christ, signe clair de changement » (Cardinal Raniero Cantalamessa ofmcap). À partir de cette rencontre tout est changé.

Les gens de Nazareth n’ont pas accepté de faire ce pas. Ils ont manqué l’occasion de mieux connaître Jésus et de mettre leur foi en lui ; tout cela parce qu’ils prétendaient connaître son origine. Ils sont restés aveuglés par leurs certitudes. Leur aveuglement les a empêchés de s’ouvrir à son mystère. Nous n’avons pas à les juger. Nous aussi, nous sommes souvent rebelles quand on vient nous parler de la part de Dieu. C’est là un avertissement pour nous : prétendre connaître Jésus c’est se mettre dans l’impossibilité de le rencontrer vraiment. Le problème des auditeurs de Jésus, c’est qu’ils étaient enfermés dans leurs certitudes et leurs traditions. C’est souvent vrai pour nous aussi. Nous pensons savoir beaucoup de choses sur Dieu. Mais ce que nous pouvons en dire sera toujours insignifiant par rapport à ce qu’Il est réellement. La foi n’est pas d’abord une affaire de connaissances et de savoir. Elle est surtout une affaire d’ouverture au spirituel : Qui est Jésus pour nous ? Voilà la question fondamentale que nous trouvons tout au long de l’Évangile de saint Marc. Et la réponse nous est donnée au pied de la croix par le centurion païen : « Vraiment cet homme était Fils de Dieu » (Mc 15,39). Et une autre question importante est : Qui suis-je pour Jésus ?

Jésus a donc connu l’échec auprès des siens. Son exemple nous encourage lorsque nous faisons face à l’adversité, au découragement, à l’échec dans notre témoignage. Le Christ n’a pas pu toucher ses proches à cause de leur manque de foi. Il a été déçu face à eux. Cela a dû lui faire mal, surtout quand c’est venu de personnes proches. Mais Jésus nous enseigne qu’il ne faut pas se décourager. Il faut aller ailleurs. Ce sont les « étrangers » qui recevront la bonne nouvelle, ceux qui sont aux « périphérie ».

C’est ce qui s’est passé pour le prophète Ezéchiel (2,2-5). Aujourd’hui nous le trouvons dans une période dramatique de l’histoire de Jérusalem. Il vient d’être déporté en terre étrangère en même temps que beaucoup de ses compatriotes révoltés, endurcis de cœur. Ezéchiel est envoyé vers cette nation rebelle qui s’est révoltée contre Dieu. Il devra faire preuve de beaucoup d’audace pour les appeler à la conversion, car ses moyens sont faibles. Il n’a que la parole. Sa mission semble une cause perdue d’avance. Mais rien ni personne ne l’empêche de rendre compte de la foi et de l’espérance qui l’animent. Malgré les épreuves et les difficultés, il annonce la parole de Dieu à temps et à contretemps. Même si les exilés refusent d’écouter Ezéchiel, « ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux » (Ez 2,5).

L’apôtre Paul a dû, lui aussi, affronter bien des difficultés. À cela s’ajoutent de graves problèmes de santé. Mais il est habité par cette confiance en Dieu qui l’accompagne dans sa mission. Il est envoyé pour annoncer l’Évangile au monde païen. Mais c’est Dieu qui fait que sa parole porte du fruit. « J’accepte de grand cœur pour le Christ les faiblesses, les insultes, les contraintes, les persécutions et les situations angoissantes. Car, lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Co 12,10). Et du même coup, l’exemple de Paul nous indique où puiser la force : non pas dans nos mérites passés, non pas dans une téméraire confiance en soi, mais dans notre faiblesse qui nous ouvre le cœur de Dieu, à qui rien n’est impossible (Lc 1,37). Toutefois si nous n’avons pas de faiblesse, de pauvreté, Dieu ne peut pas faire grand-chose avec nous.

Comme le prophète Ezéchiel et comme l’apôtre Paul, nous connaissons nos faiblesses et nos difficultés. C’est avec ce qui est petit et méprisé, que le Seigneur peut faire de grandes choses. Nous sommes envoyés pour témoigner, mais le principal travail c’est lui qui le fait dans le cœur de ceux et celles qu’il met sur notre route. Ezéchiel fait face à un peuple révolté, saint Paul doit humblement s’effacer pour faire place à la puissance de la Parole qu’il annonce, et l’enseignement de Jésus lui-même, à Nazareth, semble voué à l’échec. Comment ne pas penser aux prophètes d’aujourd’hui ? L’évangélisation serait-elle plus difficile au xxie siècle ? Non, parce que la grâce de Dieu nous suffit.

L’annonce de la Parole suppose de croire que l’Esprit nous assiste, que Dieu donne toujours sa force et nous dise : « Ma grâce te suffit » (2 Co 12,9). Cette annonce ne peut d’ailleurs se limiter à de belles paroles, elle appelle un comportement cohérent : « Ce qui compte c’est avant tout “la foi opérant par la charité” » (Ga 5,6). Les œuvres d’amour envers le prochain sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit » (Pape François, Evangelii Gaudium, § 37).

Il ne faut pas espérer que la mission soit facile et confortable mais accueillir la grâce que, chaque jour, le Seigneur nous donne. Le Seigneur compte sur nous pour être les messagers de la bonne nouvelle. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? Devant le scepticisme de nos contemporains, nous pouvons penser à la merveilleuse réplique de sainte Bernadette de Lourdes à ses adversaires : « Je ne suis pas chargée de vous le faire croire mais de vous le dire ». Ainsi nous ne sommes pas chargés de faire croire au Christ, à sa Parole, mais de l’annoncer.

Avant de nous lancer dans la mission, nous te prions Seigneur : envoie-nous ton Esprit Saint. Qu’il vienne nous rappeler ce que tu nous as dit. Seigneur, sois avec nous pour que nous soyons de vrais témoins de ton amour, car c’est dans notre faiblesse que tu manifestes ta force.