Veillée pascale 2023

(Mt 28,1-10)

Avril 2023

Frères et sœurs, dans les trois autres évangiles, lorsque les femmes arrivent au tombeau de grand matin, tout est calme, et la pierre est déjà roulée. Ici, en Matthieu, « il y eut un grand tremblement de terre ; l’ange du Seigneur descendit du ciel, [et il] vint rouler la pierre » (2). Ce détail, apparemment, dénote avec l’habituelle sobriété des récits évangéliques de la résurrection, et avouons-le, il serait presque gênant. Mais, nous le savons, ce détail n’a pas pour but de décrire les faits, mais d’en éclairer davantage leur sens.

En effet, dès la mort de Jésus, nous dit Matthieu, « la terre trembla et les rochers se fendirent » (27,51), et il ajoute : « À la vue du tremblement de terre et de ces événements, le centurion et ceux qui, avec lui, gardaient Jésus, furent saisis d’une grande crainte et dirent : ‘Vraiment, celui-ci était Fils de Dieu !’ » (27,54).

Nous pouvons alors tirer deux conclusions de ce détail. Matthieu, d’une part, marque fortement le lien entre Passion et Résurrection ; l’identité entre le Crucifié et le Ressuscité. Pas de Résurrection sans Passion, mais non pas d’abord pour nous forcer à emprunter ce passage, mais plutôt pour forcer le passage quand nous sommes dans les griffes de la mort et du mal. D’autre part, derrière le symbolisme du tremblement de terre, Matthieu insiste sur l’action de Dieu. Ce n’est pas, ce n’est plus ici Jésus que nous voyons agir, mais bien Dieu son Père qui agit en sa faveur, le justifie et le rend à la vie.

Ce Jésus que Dieu a ressuscité, comme le dit l’ange, c’est « le Crucifié » (5). Cela veut dire que Dieu est intervenu, avec toute sa puissance et toute sa justice, en faveur d’un homme rejeté, abandonné ; un paria, un blasphémateur. Dieu justifie non seulement quelqu’un qui est mort, mais surtout, quelqu’un qui a été mis à mort. Quelqu’un qui a enduré la violence que subissent encore tant et tant d’hommes et de femmes dans notre monde et dans notre histoire. Si le tremblement de terre symbolise la puissance de Dieu en action, le bruit qu’il laisse deviner, c’est la réponse de Dieu à la clameur des pauvres, des opprimés, des souffrants.

Leur cri, de tout temps, Dieu l’a entendu. Il l’a entendu notamment lors de la première Pâque, celle des Hébreux dont nous avons écouté et chanté le passage de la mer. « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, dit Dieu à Moïse dans un autre texte, et j’ai entendu ses cris sous les coups […]. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer » (Ex 3,7-8). De la même manière, Dieu a entendu le cri de Jésus en croix, et là aussi il est « descendu pour le délivrer ». Et aujourd’hui encore, nous le croyons, Dieu entend le cri de notre terre et il descend pour nous délivrer. C’est cela notre foi dans la Résurrection : un Dieu qui entend et qui agit au cœur de notre monde. A l’image de la pierre roulée, il vient ouvrir nos tombeaux, nos impasses, pour nous frayer un chemin, chemin qui n’est autre que Jésus lui-même : « Allez annoncer à mes frères, dit-il aux femmes, qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. »

Ainsi, par la mort et la résurrection de Jésus, Dieu vient sauver, relever ceux et celles qui sont à terre, celles et ceux qu’on met à terre, parce que, en effet, ils sont dans les griffes de la mort. Dieu leur ouvre une espérance puisqu’il n’a pas non plus abandonné son fils à l’injustice et à la violence. C’est le souffrant, la victime, le petit que Dieu est venu sauver ; c’est d’abord à eux qu’il s’attache et qu’il lie son sort. Ensuite, comme par ricochet, Dieu sauve aussi le bourreau, le pécheur, celui qui est à l’origine du mal et de la souffrance, en lui ouvrant également un autre chemin possible, une autre vie. C’est cette espérance, ce chemin qui s’ouvre de nouveau pour le pauvre, l’opprimé, qui, à son tour, rend possible un nouveau chemin au bourreau et à tous. Le relèvement des uns permet le pardon des autres et nous constitue ensemble en un seul peuple, une seule communauté de sauvés, dont la pierre d’angle est le Christ, le Crucifié, le Ressuscité. Dieu espérance des pauvres, des petits, et ainsi, à partir d’eux, grâce à eux, espérance, pardon, chemin, pour chacun et chacune.

Ce chemin de salut passe par la Galilée, au cœur de la vie du monde et de notre vie. C’est là où le Christ nous envoie, là où il nous précède, nous attend, nous désire ; c’est là où il vit. Il nous y envoie à la rencontre des crucifiés et des bourreaux de notre temps, là où la vie du Ressuscité cherche des témoins pour être vue, reconnue, annoncée. Si l’ange de l’évangile est descendu du ciel, la résurrection, elle, est à découvrir au plus bas de la terre, dans l’humilité du quotidien, dans l’espérance du pauvre et du petit. Que cette Eucharistie ouvre, pour notre monde, notre Eglise, pour nous-mêmes, un véritable chemin d’espérance, de communion et de vie.