Jeudi saint

(Jn 13,1-15)

Avril 2022

Frères et sœurs, l’été dernier, un groupe d’une vingtaine de scouts était venu à la messe. Au moment de la consécration, ces jeunes sont restés assis. J’avoue avoir été tenté de leur faire un signe pour qu’ils se lèvent, mais je n’ai pas osé, de peur d’être rabat-joie. Pourtant, ce n’était pas un geste de politesse ou de respect que je voulais leur indiquer. Non, je voulais leur faire comprendre qu’il se passait quelque chose, quelque chose qui est plus grand que nous, qui vaut la peine que l’on se mette debout comme pour s’en rapprocher et y prendre part. Leur faire deviner notre reconnaissance, notre joie de pouvoir être là parce que quelque chose est à l’œuvre, parce que quelqu’un est présent, qui agit.

Ce quelqu’un, nous venons de l’entendre, c’est Jésus, Parole de Dieu. Et que nous dit-il ? Il nous dit, comme dans le récit de la Passion que nous avons écouté dimanche dernier, qu’il est « au milieu de nous comme celui qui sert » (Lc 22,27), comme celui qui lave les pieds de ses disciples, nous raconte saint Jean. Dieu au service de l’homme ; Dieu qui agit pour l’homme. Quand Dieu s’incarne en Jésus, quand il proclame ou guérit, quand il rompt le pain ou bénit la coupe, ou encore quand il nous lave les pieds ou meurt en croix, Dieu, en Jésus, fait toujours la même chose : il se donne. Le don, et le don de lui-même, est finalement son mode d’être, sa façon de vivre, et, en conséquence, sa forme de présence au milieu de nous, son mode de reconnaissance et de révélation, sa façon d’agir. Il se passe quelque chose, c’est-à-dire le don, le service, l’amour pénètrent la vie, nos vies, et leur donnent leur sens, leur source, leur avenir et leur salut.

Et Jésus nous invite à entrer dans ce mouvement, à faire, nous aussi, comme il a fait pour nous. Le don, et le don de nous-mêmes, doit donc être notre chemin. Et je dis bien chemin, dans le sens de ce qui nous sépare encore du terme, parce que nous savons qu’il nous est difficile de nous donner, qu’il y a en nous une tendance à vouloir prendre, recevoir, plutôt que de donner, et surtout de se donner. Mais ce chemin, c’est à la suite du Christ que nous l’entreprenons, lui qui ne cesse de se donner, et à son Père, et à nous. Alors chaque fois que nous communions au corps et au sang du Christ, nous réaffirmons notre désir de nous donner à Dieu et aux hommes, et nous redisons aussi, en même temps, combien nous avons besoin de cette nourriture, de cet exemple du Christ, de son amour, pour arriver, à notre tour, à aimer. « Nul ne peut être sauvé s’il n’est aimé », comme le dit si bien le pape François. Nous approcher de l’autel, c’est d’abord réaffirmer que nous nous savons aimés et, qu’en retour, par grâce, nous sommes appelés à aimer du même amour, et nous en prenons le chemin.

L’expression si courante « donner la communion » dit bien et le don qui nous vient de Dieu, et la communion qu’il nous donne de vivre avec lui. Et nous n’oublions pas que cette invitation à entrer en communion de vie en Dieu est la grande nouveauté du message chrétien. Mais « donner la communion » dit aussi ce que Dieu nous donne en nous rassemblant, en nous faisant entrer en communion les uns avec les autres. Et, une nouvelle fois, nous sommes appelés à faire comme lui, à nous donner les uns aux autres la communion. Autre grande nouveauté du message chrétien, en tout cas autre point capital, que cette vie ensemble à laquelle nous sommes appelés. Oui, il se passe quelque chose parce que ce don du Christ nous met en route aussi les uns vers les autres, avec les autres. Il nous transforme, et ainsi nous rapproche, nous agrège les uns aux autres, comme le Christ a rassemblé ses apôtres et en a fait son Eglise.

Mais voilà, comme le disait Mgr Claverie, « Notre communion a une chance d’exister […] quand chacun tente de donner sa vie ». Là encore, il ne dit pas « donne sa vie », mais « tente de donner sa vie ».  C’est ce chemin qu’il nous faut prendre et reprendre. Et, c’est de ce chemin dont dépend la présence de Dieu dans notre vie, et surtout, dans notre monde. La qualité de notre vie, comme celle de notre monde - et l’actualité nous le montre clairement - dépend de cette communion. La communion n’est pas la cerise sur le gâteau, un surplus, un bonus, après avoir réglé nos petites affaires ou notre petit confort. Elle est le lieu d’où germe la vie, le lieu où chacun reçoit la vie. Et c’est pourquoi, avant de passer de ce monde à son Père, avant de donner sa vie, le Christ se donne en exemple à ses disciples pour qu’ils vivent de sa vie, de son don, de sa communion ; pour qu’ils soient son Corps, sa présence.

Frères et Sœurs, chaque fois que nous célébrons l’eucharistie, nous nous exposons à ce don de Dieu qui nous met en communion avec lui et entre nous, et qui ainsi sauve le monde. Chaque fois, nous redisons que là est la vie : dans le don, la communion. En cette Sainte Cène, puissions-nous accueillir, comme il se doit le don et la communion, le don de la communion que Dieu renouvelle sans cesse, pour nous, par amour.