Saint Bernard

2020

Frères et sœurs, vous le savez, les Cisterciens vivent sous la Règle de saint Benoît. Celui-ci nous invite à renoncer à notre volonté propre et à prendre « les fortes et nobles armes de l’obéissance, afin de combattre pour le Seigneur Christ, notre véritable Roi. » Alors certes, nous pourrions peut-être gloser sur l’obéissance de Bernard avant qu’il ne devienne abbé, mais il est clair qu’il a obéi à l’appel qu’il a reçu et à Celui qui le lui a adressé. En digne fils de Benoît, et de surcroît chevalier de naissance, il a pris ces « nobles et fortes armes… afin de combattre pour… notre véritable Roi. » Et il l’a fait, non pas en se croyant déjà arrivé, non plus en se pensant plus vertueux ou plus courageux que les autres. Non, il l’a fait en connaissant son âme, sa vie, ses égoïsmes et ses résistances, qu’il n’a cessé d’offrir au Seigneur pour que, tel le fils prodigue, il puisse être accueilli, pardonné et revêtu par le Père miséricordieux. Dans cet esprit, ce n’est pas auprès des saints de l’Evangile que Bernard cherchait à revendiquer une place, mais c’est dans la figure du bon larron qu’il se reconnaissait davantage. Je le cite : « Oh ! Si, dans sa bienveillance pour son peuple, le Seigneur Jésus se souvenait de moi aussi, pécheur, quand il viendra dans son royaume !  Oh ! si, en ce jour où il remettra le royaume au Dieu et Père, il voulait bien me visiter par son salut. » Et Bernard dresse la liste de ce qui l’habite, afin, là encore comme nous y exhorte Benoît, d’appeler le Seigneur à son secours. Il écrit : « D’ici là, viens, Seigneur Jésus, arrache les scandales de ton royaume qui est mon âme, et règne sur elle, comme tu le dois !  Car l’avarice vient et revendique pour elle un trône en moi, la vanité aussi prétend dominer sur moi, l’orgueil veut être mon roi. La luxure dit : ‘C’est moi qui règnerai’ ; l’ambition, le mépris, la jalousie, la colère luttent en moi à mon sujet, pour savoir à qui j’appartiens le plus ». Bernard, notre saint, est habité, hanté oserais-je dire, par le spectre de tous les péchés capitaux. Mais il ajoute : « Pour moi, je résiste tant que je peux, je me bats autant que je suis soutenu. J’en appelle à Jésus mon Seigneur, je me défends de moi pour lui car je reconnais lui appartenir.  Je m’y tiens : c’est lui mon Dieu, lui mon Seigneur, et je dis : ‘Je n’ai pas d’autre Roi’ que Jésus.  ‘Viens, donc, Seigneur’, ‘disperse-les par ta puissance’ et tu règneras sur moi, car ‘c’est toi, mon Roi et mon Dieu, toi qui donnes ses victoires à Jacob’. » Inutile de préciser que nous découvrons ici, derrière l’image de facilité que laisse souvent entendre le mot de saint, tout le combat de Bernard, combat qu’il a mené avec toute sa force, avec toute sa vie, avec toutes ses larmes, mais aussi avec tout son amour, s’en remettant totalement au Seigneur.

 

Bernard, pour en arriver à cette rencontre avec son roi, a donc choisi la voie de la sagesse qui consiste à se connaître soi-même. Une connaissance qui nous fait traverser nos miasmes et nos ténèbres. Umbra lux Dei, dit-il : « L’ombre, c’est la lumière de Dieu ». Ce sont bien souvent nos échecs, nos erreurs, voire nos terreurs, qui révèlent la lumière de Dieu, l’appel à la vie, au bon, au beau, qui nous est adressé. Là encore, Bernard nous invite à vivre notre chemin, le regard tourné vers le Seigneur, vers la lumière de la Résurrection.

Mais Bernard nous met en garde. Ce chemin que nous avons entrepris, nous devons le poursuivre, et cela chaque jour. Nous nous sommes mis en route pour suivre le Christ, l’aimer, le servir ; comment pourrions-nous nous arrêter là, nous assoir sur le chemin, faire demi-tour, sans le renier, sans nous renier ? Et il nous dit : « Monter ou descendre, telle est donc notre loi : on ne peut pas essayer de s’arrêter qu’on ne tombe aussitôt. On peut dire que celui qui ne veut pas devenir meilleur, ne vaut encore rien, car on cesse d’être bon dès qu’on renonce à devenir meilleur. »

Tout ce chemin, vous le savez, nous mène à l’amour. Bernard l’a abondamment décrit, passant de l’amour de soi à l’amour de Dieu. Mais quel bâton, quelles sandales, quelle force, nous donne Bernard pour avancer sur cette route ? Eh bien là aussi, en bon fils de saint Benoît, il nous invite à l’humilité : « Celui qui met sa confiance – dit-il - en n’importe quelle pratique religieuse, action méritoire, ou sagesse autre que la seule humilité, n’est pas seulement un sot mais un fou. » L’humilité nous donne d’accepter nos limites, de ne pas en être surpris, et donc de ne pas nous cacher à nous-mêmes nos propres fautes, afin de pouvoir, comme nous l’avons dit, les mettre à profit en nous relevant tout en laissant à terre notre péché. Le Père Charles aimait reprendre ces mots de saint Bernard : « Être sauvé, c’est consentir ». Consentir à ce que nous sommes, consentir à la vie que nous avons choisie, consentir à se laisser former par Celui qui sait mieux que nous ce qu’il nous faut. Qu’en cette eucharistie nous puissions entrer davantage dans ce consentement au dessein de Dieu pour nous, pour Scourmont, pour le monde.