Saint Pierre et Saint Paul

(Mt 16,13-19)

Juin 2020

Frères et sœurs, ces dernières années, l’Eglise est et a été secouée par des scandales. Certains de ses prêtres, de ses évêques, mais aussi certaines de ses figures les plus emblématiques, ont été accusés pour des actes graves ou encore des silences inaudibles. Depuis, c’est l’autorité même au sein de l’Eglise qui est interrogée et remise en cause ; ce sont certaines de nos certitudes qui sont ébranlées ; et c’est l’Eglise elle-même qui vacille avec elles. Dernière conséquence de ces interrogations, une femme, la théologienne Anne Soupa, s’est déclarée candidate pour devenir archevêque de Lyon. Pourtant, aujourd’hui, nous fêtons dans la joie, avec toute l’Eglise, les apôtres Pierre et Paul, les colonnes de cette Eglise, et avec eux nous prions pour leurs successeurs, pour ceux qui ont la charge du troupeau du Seigneur et de la transmission de son message. Alors peut-être que cette fête, les textes de la liturgie, peuvent nous aider à mieux nous situer dans cette crise que traverse l’Eglise.

 

L’évangile nous rappelle, si besoin est, que l’Eglise et ceux qui en ont pris la direction, ceux qui se sont mis à son service, ne se sont pas autoproclamés. C’est Jésus qui les a appelés : « moi, je te le déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (18). Et Pierre n’a pas été choisi pour ses compétences, mais par le don : « ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » (17). C’est ce don qui fonde toute autorité dans l’Eglise et c’est ainsi que nous devons la recevoir.

Nous retrouvons la même idée avec saint Paul dans la deuxième lecture de la messe de la veille au soir : « Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère ; dans sa grâce, il m’a appelé ; et il a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que je l’annonce parmi les nations païennes. » (Ga 1, 15-16). Paul ne fait qu’accueillir, consentir et participer à l’appel que le Seigneur lui adresse. Et si nous relisons la deuxième lecture de ce jour, nous voyons bien qu’il n’a pas été choisi pour vivre un privilège, pour avoir un pouvoir, mais pour se mettre au service du Seigneur et de son Eglise, à travers ce qui lui-même appelle un sacrifice, un combat, une course.

Au cœur de cet appel, au cœur de cette mission, il y a l’attachement, le lien, l’alliance avec le Christ. Être capable, comme Pierre, de reconnaître en lui « le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Mais une reconnaissance qui change notre vie, qui a un impact sur notre quotidien. Saint Paul nous parle de « désir(er) avec amour sa Manifestation glorieuse » (2 Tm 4,8). Il est totalement tourné vers le Christ et ne cherche pas à profiter de ses bienfaits, mais à se mettre à son service car c’est là qu’il trouve sa joie.

La messe de la veille au soir a pour évangile le chapitre 21 de saint Jean avec cette question qui peut nous accompagner tous les jours : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » (17). M’aimes-tu ? nous demande le Seigneur. Ta vie est-elle vraiment liée à la mienne ? Portes-tu autant d’intérêt à ma vie qu’à la tienne ? Difficile de répondre par oui sans réserve à ces questions. Je reprendrai ici le mot de saint Paul, pour parler d’une course, d’un chemin à parcourir qui, s’il réclame toute notre collaboration, notre combat, est d’abord un don, et un don à désirer vraiment. Car voilà, si l’Eglise comme nous le disions connaît tant de difficultés, c’est aussi parce que Dieu nous prend comme nous sommes, parce que Dieu s’incarne dans notre histoire. Nous savons tous où il est venu nous chercher, et nous savons que ce n’était pas spécialement glorieux. Mais c’est de là, à partir de cette glaise, de cet humus, que Dieu a voulu donner vie et salut, pour nous et pour les autres. Nous ne pouvons témoigner que de ce que nous avons fait l’expérience. Nous ne pouvons répondre à la question « Pour vous, qui suis-je? » et transmettre sa réponse aux hommes de notre temps, que si nous avons fait l’expérience de notre petitesse dans la révélation de la miséricorde, du salut, de la vie.

Frères et sœurs, comme nous le montre Jean 21, pour être pasteur, il faut aimer le Christ, parce que l’amour de Dieu et l’amour des hommes sont liés. Nous aurions tôt fait de croire alors que pour être pasteur, il faut aimer les hommes, il faut aimer les frères. C’est vrai, mais je crois surtout qu’en étant pasteur nous découvrons combien nous ne les aimons pas, dans le sens où nous ne les aimons pas assez. Dieu n’appelle pas des ministres parce qu’ils sont des exemples de son amour, mais pour qu’ils le deviennent, pour qu’ils reçoivent et accueillent de lui d’aimer comme lui. Les colonnes de l’Eglise, le roc sur lequel elle est fondée, c’est l’amour. Mais la terre dont elle est constituée, la chair qui va permettre à cet amour de s’incarner, de prendre forme, de prendre vie, ce sont les hommes que Dieu, par pure gratuité, a choisis. Et c’est là, dans notre pâte humaine, que nous devons nous laisser toucher, transformer ; c’est là notre responsabilité.