Homélie pour la solennité du Corps et du Sant du Christ - (7 juin 2015)

 Frères et sœurs, la Cène s’inscrit dans la Pâque juive, c’est-à-dire la libération du peuple d’Israël. Pour éclairer le mystère que nous célébrons aujourd’hui et que nous vivons en chaque eucharistie, et puisqu’on ne peut pas tout dire, j’aimerais simplement relever ces deux dimensions : la libération, et la naissance d’un peuple, d’un corps.

 Dieu libère Israël et conclut avec lui une Alliance. Dans La première lecture, nous voyons Moïse asperger les Hébreux de sang, symbole de la vie, comme pour montrer que dorénavant cette Alliance leur est vitale : c’est une question de vie ou de mort.

 

 

La mort, ils viennent de la voir quand l’Egypte a perdu ses premiers nés, et quand Pharaon et son armée ont été engloutis par la mer. Et les Hébreux se sont réjouis de la puissance de Dieu, ont rendu grâce pour la libération offerte et réalisée.

 

Mais, ils ne seront que deux, Josué – c’est-à-dire Jésus – et Caleb, à entrer en Terre Promise. Le sort de l’Egypte n’était finalement que la préfiguration de celui d’Israël, de celui qui n’écoute pas, qui n’obéit pas à Dieu. Israël n’a pas compris qu’en le libérant d’Egypte, Dieu le faisait passer d’un esclavage à un autre, ou plutôt de l’esclavage au service.

 

Ainsi les hauts faits de Dieu, les dons de la Loi, de l’Alliance, le Temple, offrandes et sacrifices, ne lui serviront de rien, s’ils ne sont pas signes et expressions du don de soi-même. Cela peut nous interroger sur notre rapport à l’Eucharistie. Est-ce un simple rite, une habitude, une tradition, ou est-ce la source et l’expression de l’offrande de toute notre vie ?

Car le Christ a renouvelé cette Pâque juive en en faisant la mémoire du don de sa vie. Lui qui sait que sa mort est proche, anticipe l’évènement en se livrant totalement, corps et sang. Toute sa vie, de son incarnation à sa résurrection, se résume en ce don libre de lui-même pour la multitude et en cette obéissance confiante au Père.

Ainsi, frères et sœurs, lorsque nous célébrons l’Eucharistie, lorsque nous adorons le Saint-Sacrement, nous ne sommes pas face à une simple présence, mais à une présence qui agit, qui se donne, qui nous transforme, maintenant ! L’Eucharistie englobe tout le mystère pascal, toute cette dynamique de la victoire de la vie sur la mort, et surtout elle est ce mystère à l’œuvre aujourd’hui : lorsque nous célébrons l’Eucharistie, nous assistons et participons au Salut ; et c’est lui que nous devons accueillir ; et c’est à lui que nous devons nous ouvrir.

 

Nous sommes en quelque sorte dans cette grande pièce à l’étage toute prête pour le repas, mais aussi au pied de la croix, dans le jardin face au tombeau ouvert, avec Marie et les apôtres le jour de la pentecôte, et sur les routes et dans les villes avec Jésus qui enseigne, guérit, sauve ; qui touche et se laisse toucher. L’Eucharistie nous invite donc au service de Dieu et de nos frères et sœurs ; libération de nos égoïsmes, de nos fermetures ; don de nous-mêmes.

 

Par l’Eucharistie, et ce sera le deuxième point, nous entrons dans cette dimension de peuple, de Corps du Christ. Fondamentalement, notre corps est un don. Don pour nous-mêmes et pour les autres puisqu’il est ce qui nous permet, comme Jésus, de toucher et d’être touché.

 

Un homme dont on parle régulièrement dans la presse et les conversations n’avait pas mon estime parce que j’étais rarement d’accord avec lui. Je ne l’avais jamais vu, mais je l’imaginais petit comme une caricature de ces ambitieux qui font tout pour essayer de dépasser les autres. Et puis je l’ai rencontré. Il était beaucoup plus grand que je ne pensais, et d’ailleurs - retour de boomerang - plus grand que moi ! Il était plus vieux aussi, vouté et ridé par ce poids des années, par tout ce qu’il avait fait, donné ; par tous les coups qu’il avait reçus. Je découvrais soudain combien cet homme avait été disciple du Christ, c’est-à-dire une vie, un corps et du sang, donnés pour les autres.

 

Invités à la table du Seigneur, c’est à ce don de nous-mêmes que nous sommes conviés.

 

Mais ce corps est aussi un corps ecclésial puisque c’est ensemble que nous sommes Corps du Christ. Pendant la dictature au Chili, les militaires torturaient des personnes, des corps, non pas pour obtenir des informations (généralement, ils les avaient déjà…), mais pour semer la terreur, et ainsi faire éclater le corps de l’opposition, éviter que les gens ne se rassemblent, ne se soutiennent. Isolé, chaque opposant ne pouvait plus faire grand-chose. C’est alors que certains ont compris que l’Eglise avait un rôle à jouer. Certes en tant qu’institution, elle avait l’occasion de donner de la voix, mais surtout comme Corps du Christ. Tout simplement par l’Eucharistie, elle avait le pouvoir de rassembler les hommes, de les mettre de nouveau dans une dynamique d’unité, et de leur dire au cœur des ténèbres : « Tu n’es pas seul…Vous n’êtes pas seuls ; Je viens vous libérer ».

 

Et ce message, comme le dit l’auteur de l’épitre aux hébreux, c’est « le grand prêtre du bonheur qui vient », le Christ, qui nous le donne, aujourd’hui, en cette eucharistie.