(Jn 1, 29-34)

Frères et Sœurs, Jean-Baptiste, que Jésus a qualifié ailleurs de « plus grand des enfants nés d’une femme » (cf. Mt 11,11), est assurément une figure étonnante. Cet homme, dont parle uniquement le Nouveau Testament, est pourtant le dernier représentant de cette longue lignée de prophètes de l’Ancien Testament. Cet homme, arrivé juste à temps pour désigner Jésus comme Celui qui vient, est aussi celui dont on a parfois l’impression qu’il est arrivé juste un peu trop tôt et qu’il est déjà trop tard pour lui pour participer pleinement à l’évènement Jésus.

Car si l’apôtre Paul, par sa fougue et sa foi, a profondément marqué le christianisme de son emprunte, qu’en aurait-il été si ce Jean-Baptiste, lui aussi au tempérament de feu, totalement donné à sa mission et à son Dieu, avait été disciple, avait été apôtre ? Et bien peut-être qu’aujourd’hui, à partir de l’évangile de Jean, il nous est possible de le pressentir.

Nous voyons Jean-Baptiste comme un homme austère, un ascète, quelqu’un qui renonce à lui-même, à son ego, et pourtant, dans cet évangile, nous ne cessons de l’entendre dire moi et je ; 15 fois dans cette traduction liturgique sur un texte relativement court ! Mais, au-delà de ces moi et de ces je, Jean-Baptiste ne parle pas de lui, mais bien d’un autre : c’est Jésus qui est au centre. Et nous pourrions même dire que c’est Jésus qui donne à Jean-Baptiste de dire moi, de dire je, car Jésus se révèle être au cœur, au sommet de l’expérience de Dieu que fait le Baptiste. Et ce n’est pas lui qui va à Jésus, mais c’est Jésus qui vient à lui : « En ce temps-là, voyant Jésus venir vers lui », nous dit saint Jean. C’est cette venue de Jésus vers lui, c’est « l’Esprit descend(u) du ciel comme une colombe », et c’est le Père « qui (l)’a envoyé baptiser dans l’eau », qui donnent à Jean-Baptiste de dire : « Moi, j’ai vu, et je rends témoignage ». Dieu, en se révélant à Jean-Baptiste, lui a donné toute sa consistance, toute sa dimension, pour en faire le « plus grand des enfants nés d’une femme ». Et nous ? En quoi notre relation à Dieu, notre écoute de ce qu’il nous dit, notre expérience de sa présence dans notre vie, change, modifie, donne de la consistance à notre moi, à notre je, et finalement à notre monde ?

A travers ces moi et ces je, Jean-Baptiste nous dit qui est Jésus : il est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » ; il est celui qui était avant lui ; il est celui sur lequel l’Esprit demeure ; et enfin il est « le Fils de Dieu ». Témoignage très fort de Jean-Baptiste, si fort que dans les versets qui suivront, deux de ses disciples le quitteront pour marcher derrière Jésus. Alors à notre tour, comment ne pas lire dans ce témoignage, un appel à porter notre regard sur celui qui vient aussi vers nous et marcher à sa suite ?

Premièrement, Jésus est « l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde ». « L’Agneau », peut-être déjà celui du sacrifice, mais sûrement celui de l’Alliance entre Dieu et nous. Et « l’Agneau qui enlève » : Jésus enlève, retire, arrache le péché et ses conséquences mortifères dans notre vie ; c’est bien une libération qui nous est ici annoncée, qui nous est ici promise.

Deuxièmement, Jésus est celui qui vient vers nous, celui qui était avant nous, comme une présence indéfectible qui nous enserre, qui nous protège ; présence sur la laquelle nous pouvons nous appuyer, sur laquelle nous pouvons nous reposer.

Troisièmement, l’Esprit demeure sur lui, non pas à la manière des prophètes, pour une mission bien déterminée, mais de façon permanente, de façon là encore indéfectible. Cet Esprit qui demeure, figuré par une colombe, elle-même symbole de la faveur de Dieu retrouvée après le Déluge, ou encore d’une création toujours nouvelle, toujours renouvelée à l’image de cet esprit qui planait sur les eaux.

Et enfin, quatrièmement, Jésus est « le Fils de Dieu », titre qu’il ne faut pas entendre ici comme le définira plus tard la théologie comme deuxième personne de la Trinité, mais comme titre messianique qui s’applique d’abord au roi David et à ses successeurs. Ce titre veut signifier une dépendance radicale en Dieu, Jésus s’en remettant totalement à ses mains, à son dessein, et nous invitant à en faire de même. Dépendance radicale qui se nourrit de l’assurance de la fidélité de Dieu.

Dans cet évangile, Jean-Baptiste joue pleinement son rôle de précurseur puisque pour lui, tel que nous le présente ici saint Jean, il n’y a pas de doute : Jésus est le Messie espéré, le salut que Dieu nous donne, celui sur lequel nous pouvons porter notre regard, notre moi, notre je, puisqu’il a tout pour prendre soin de nous. Jean-Baptiste est donc aussi apôtre, puisqu’il a été envoyé, comme tout apôtre, pour nous inviter à emprunter le chemin à la suite du Christ. Chemin où il nous est donné, si nous le voulons, si nous le choisissons, de voir, d’entendre et de connaître.