29 janvier 2023 – 4ème dimanche « A »

So 2, 3 ; 3, 12-13 ; 1 Co 1, 26-31 ; Mt 5, 1-12a

H O M É L I E

La plupart des gens cherchent le bonheur dans un pays étranger appelé « Ailleurs ».  Les pauvres rêvent du bonheur des riches, ceux qui souffrent d’isolement rêvent du bonheur de ceux qui sont entourés d’amis.  Le bonheur est propre à une région où il fait toujours chaud, mais pas trop.  Il appartient au voisin qui a une maison plus grande, une femme plus belle, plus de talent artistique, et dont les réussites sont plus appréciées.

Il n’y a rien de mal à construire des châteaux en Espagne, aussi longtemps qu’on n’essaye pas d’y habiter.  Mais le plus triste est que l’on transpose facilement l’attitude que je viens de décrire à grands traits dans sa compréhension du message de l’Évangile. 

Jésus est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en plénitude, dès maintenant et pour toujours.  Il nous a dit qu’il nous avait transmis tout ce qu’il avait entendu de son Père, afin que notre joie soit complète ; mais nous nous contentons souvent d’attendre le bonheur après la mort, dans une sorte d’Ailleurs que nous appelons ciel, alors qu’Il veut que notre bonheur commence dès ici-bas.

N’interprétons-nous pas trop facilement les béatitudes (que nous venons d’entendre) de la façon suivante : bienheureux les pauvres parce qu’après leur vie misérable sur la terre ils recevront le royaume des cieux en héritage ; bienheureux ceux qui souffrent, car ils seront consolés dans les cieux ; bienheureux ceux qui ont faim, car après être mort de faim ils jouiront de mets délicieux dans le ciel, etc. etc.

Et l’étape suivante, dans la logique d’une telle interprétation est de dire aux pauvres :  « Vous savez, vous êtes les vrais chanceux, vous êtes plus heureux que les riches, ne créez donc pas de problèmes pour notre société en essayant de modifier la situation. Vous pourriez d’ailleurs si facilement devenir vous-mêmes les victimes de dangereux agitateurs ! »  Ou bien dire aux affamés de justice : « Comme vous êtes privilégiés d’être les victimes d’injustices! car le royaume sera vôtre dans les cieux ; et surtout n’essayez pas d’obtenir justice ici bas, car vous risqueriez de perdre votre récompense dans le ciel... et vous nous occasionneriez trop de problèmes. » ... Comme si toutes ces situations étaient destinées à demeurer inchangées jusqu’au jour appelé la « fin des temps », après quoi les rôles seront renversés.

Tout cela n’est pas l’enseignement de Jésus. Son enseignement est en continuité avec celui des prophètes de l’Ancien Testament qui ont annoncé le règne du Messie comme un règne dans lequel, enfin, justice serait faite aux opprimés, la bonne nouvelle serait annoncée aux pauvres, les larmes seraient essuyées des joues de tous ceux qui pleurent et le bonheur serait offert à tous.  Et Jésus n’a-t-il pas dit : « Je ne suis pas venu abolir les prophéties mais les accomplir » ?  Donc, lorsqu’il déclare : « Le royaume des cieux est arrivé » il veut dire ce que ces mots signifient.  Il n’annonce pas un bonheur qui ne sera disponible qu’après la mort, si nous passons notre examen.  Ils déclare les pauvres heureux, parce qu’il est venu pour les délivrer de leur pauvreté ;  il déclare ceux qui pleurent heureux, parce qu’il est venu essuyer leurs larmes ; ils déclare les affamés heureux, parce qu’il est venu les délivrer de leur faim.

Le royaume de Dieu, où le boiteux marche, où le lépreux est guéri, où le pécheur est pardonné, où les puissants sont chassés de leurs trônes et les humbles sont exaltés, où les affamés sont nourris, n’arrivera pas à la fin des temps.  Ce royaume EST la fin des temps.  Ce royaume doit être réalisé ici, sur terre, ou bien il n’existera jamais.  S’il est réalisé ici sur terre, il durera à jamais, parce que c’est une réalité divine, parce que c’est la réalisation de la dimension divine de l’homme créé à l’image de Dieu.

Les Béatitudes ne sont donc pas un tranquillisant spirituel destiné à nous faire accepter les difficultés de la vie présente dans l’attente d’un meilleur « Ailleurs » !.  Elles sont un appel et une mission qui nous est confiée à nous qui avons reçu l’Évangile. 

Comment réaliser une telle mission ? – Simplement en faisant ce que Jésus explique dans son Sermon sur la Montagne, tout de suite après les Béatitudes :  « On vous a dit : Tu ne tueras point.  Moi je vous dit de ne pas insulter, de ne pas même contrister votre frère.  On vous a dit : Tu ne commettras pas d’adultère.  Moi je vous dis de conserver votre œil et votre coeur purs.  On vous a dit : œil pour œil, dent pour dent.  Moi je vous dis de ne pas vous laisser prendre dans l’escalade de la violence ; répondez à la violence par la non-violence.  On vous a dit : aimez votre prochain et haïssez votre ennemi.  Moi je vous dis :  aimez votre ennemi comme vous-mêmes.

Lorsque tous les Chrétiens – nous tous – vivrons selon ces principes, et le ferons d’une façon contagieuse, il n’y aura plus de pauvres, d’affamés et d’affligés.  Le Royaume de Dieu sera réalisé.  Ce sera la fin du temps, parce que le temps aura rejoint l’éternité et se sera fondu en elle.

Armand Veilleux