23 mars 2021 - Mardi de la 5ème semaine de Carême

Nb 21, 4-9 ; Jn 8, 21-30

 

H o m é l i e

          Tout au long de ce temps de carême les lectures bibliques, en nous invitant à la conversion, nous ont parlé de l’expérience du désert, au cours de laquelle, durant quarante ans Dieu a formé et transformé son peuple.

 

            Il y a une expérience du désert au début de tout grand cheminement spirituel.  Après son baptême Jésus lui-même a débuté cette nouvelle période de sa vie par un chemin de solitude au désert.  Avant Lui, cela avait été aussi l’expérience d’Élie, passant à travers le désert de sa propre pauvreté, de sa peur, de sa faiblesse avant d’atteindre le sommet de sa rencontre avec Dieu dans la brise légère sur le mont Horeb.  Ce fut l’expérience de Paul, qui passa quelques années mystérieuses, dont nous ne savons à peu près rien, dans le désert d’Arabie après sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas. Et des milliers de femmes et d’hommes, depuis les débuts de la vie monastique en Syrie et en Égypte jusqu’à aujourd’hui – sans oublier, bien sûr, les grands ascètes du Jura (d’hier et d’aujourd’hui !) sont allés au désert pour y vivre cette expérience.

            Le désert est un lieu bien spécial. Dans une terre riche et humide tout peut croître. Dans le sol aride et desséché du désert seuls quelques plantes solides et résistantes (ou coriaces !) peuvent croître.

            Le chemin de la solitude peut sans doute conduire à des expériences mystiques foudroyantes comme celle d’Élie ou de Jésus après son baptême ou encore sur le mont Thabor.  Mais, en général, le chemin de conversion qu’offre le désert est quelque chose de beaucoup plus prosaïque, comme celui du peuple d’Israël dont nous parle la première lecture de ce matin.  Les Hébreux en ont marre de cette nourriture fade du désert, qui leur sort par le nez.  Ils se révoltent contre leurs guides, Moïse et Aaron, qui n’ont rien trouvé d’autre à leur donner et qui ne semblent vraiment pas savoir vers où ils les guident.  Et il y a tous ces serpents, qui les mordent.

            C’est là une description assez juste du désert monastique, où les monts Horeb et Thabor ne sont pas nécessairement fréquents. Le désert monastique, cette vie monastique dont Benoît dit qu’elle est un carême continuel, consiste dans tous les événements de notre vie quotidienne.  Cette expérience du désert nous la faisons dans le choses bien ordinaires de la vie, comme par exemple à travers nos échecs -- échecs dans notre travail, dans nos relations fraternelles, dans notre vie ascétique.   Ou encore lorsque l’âge avançant, nous nous rendons compte que nous n’avons plus les forces que nous avions autrefois.

            Quand nous acceptons toutes ces limites, elles nous mettent en présence de nos limites plus profondes, de notre péché, de toutes les idoles que nous vénérons en secret.  Et c’est là le premier pas vers la conversion du cœur – une conversion que nous ne pouvons pas opérer nous-mêmes, mais qu’on ne peut que recevoir comme un pur don. (« J’enlèverai de votre poitrine le cœur de pierre et j’y mettrai un cœur de chair...)

            Quand les Pères du désert, dans leurs écrits, parlent de leurs luttes contre les bêtes, les serpents, les diables, ce sont là simplement des images par lesquelles ils décrivent ces aspects de leurs cœurs que Jung appelait notre « ombre » (shadow).

            Quand Jésus décrit la réalité de la conversion il n’utilise pas des images suaves et faciles : il se réfère aux deux moments traumatiques de la vie, la naissance et la mort. À Nicodème, il dit qu’il faut naître à nouveau et aux disciples il parle du grain tombé en terre qui ne porte du fruit que s’il meurt. 

 

Armand Veilleux