15 avril 2020 - Mercredi de l’Octave de Pâques

Ac 3, 1-19; Luc 24, 13-35

  

H O M É L I E

          L’Évangéliste Luc nous rapporte trois apparitions de Jésus le jour de Pâques :  1) celle aux femmes, qui furent les premières à avoir le courage de venir au tombeau de grand matin ; 2) celle aux deux disciples qui avaient décidé de retourner à leur village et à leurs occupations ; 3) celle aux Douze qui étaient encore paralysés par la peur dans l'endroit où ils s'étaient enfermés. C’est la deuxième de ces apparitions que nous avons dans notre texte d’aujourd’hui.

 

          La rencontre avec les deux disciples d'Emmaüs a inspiré plusieurs artistes au long des siècles.  Mais je crois que la plupart des peintures connues représentent le Christ à table avec les deux disciples, dans la salle à manger de l'hôtel, plutôt que sur la route.  Personnellement j'ai toujours été fasciné surtout par leur rencontre sur la route.

          En réalité, bien que ce que décrit Luc a certainement un fondement historique, ce qui l'intéresse n'est pas de décrire dans les détails un événement particulier.  Il ne faut pas beaucoup de réflexion ni un grand effort d'analyse pour se rendre compte que ce que Luc décrit dans ce passage c'est la vie de la première communauté chrétienne qui poursuit ses occupations ordinaires après la mort et la résurrection de Jésus, mais qui continue de sentir sa présence: 1) à travers le partage de la Parole et la catéchèse, 2) à travers la fraction du pain et 3) à travers la profession de foi.  Luc ne raconte pas ici un miracle de puissance, mais plutôt un événement qui réjouit l'esprit et réchauffe le coeur.

          Essayons pour un instant d'imaginer ce que ressentait la communauté chrétienne (représentée ici par les deux disciples) après la mort de Jésus.  La vie de Jésus avait été très déconcertante pour eux.  Il était apparu comme un jeune prophète ayant tous les signes du Messie ; il avait parlé comme personne d'autre, il était passé en faisant le bien et en opérant des miracles ; mais tout cela avait duré bien peu de temps.  On l'avait mis à mort.  Une phrase du récit exprime bien leur déception :  "Nous pensions que c'était lui..."

          Dans notre vie à chacun d'entre nous il y a certainement eu des moments où nous avons fait l'expérience vive de la présence du Christ.  La certitude absolue de cette présence nous a donné la force de nous engager, comme Chrétiens, comme membres responsables de l'Église, comme moniales ou comme moines.  Et puis il y a eu probablement d'autres moments où rien ne semblait plus être clair ou certain.  N'avons-nous pas eu envie de dire à ce moment-là :  "Nous pensions que c'était lui...»? Nous pensions faire sa volonté, nous pensions qu'il serait avec nous pour toujours.  Nous nous attendions à faire sans cesse l'expérience de sa présence.  Et maintenant, c'est le troisième jour, le troisième mois, la troisième année...   Et si quelqu'un nous demande pourquoi nous sommes si tristes, nous aurons peut-être envie de répondre:  "Tu es bien le seul ici à ne pas savoir que tout va mal... dans l'Église, dans le monde, dans ma communauté, dans ma vie"...

          L'Évangile d'aujourd'hui nous rappelle l'importance du souvenir, qui est l'attitude chrétienne fondamentale ("Faites ceci en mémoire de moi...").  Il nous rappelle que chaque fois que, dans un moment de doute et d'épreuve, nous avons le courage de dire: "Je pensais que c'était Lui"... chaque fois, Il est là, marchant à nos côtés sur le chemin, réchauffant nos coeurs, ouvrant nos yeux à la compréhension des Écritures -- pas seulement la Bible, mais aussi les Écritures de notre existence --, et nous conduisant au partage du pain avec nos frères et nos soeurs, nous amenant à Le reconnaître dans ce partage.

          Nous sommes les disciples de Jésus... Nous sommes tous en route vers Emmaüs.  Nous nous racontons les uns aux autres ce qui s'est passé... ou ne s'est pas passé.  Parce que nous avons le courage de faire cela, en mémoire de lui, il est là sur le chemin, marchant à nos côtés.  Il est l'un d'entre nous ; il est chacun de nous.  Il est ce que chacun de nous doit être pour l'autre... "Nos coeurs ne sont-ils pas brûlants au dedans de nous ?"       

Armand Veilleux