27 décembre 2020 - Fête de la Sainte Famille « B »

Gn 15,1-6;21,1-3;  Hé 11,8.11-12.17-19;  Lc 2,22-40

 

Homélie 

          En ce dimanche de la Sainte Famille, les Évangiles choisis pour chacune des trois années du cycle liturgique ne nous présentent pas une doctrine mais trois évènements vécus par la Sainte Famille.  Le récit de l’an dernier (année A) était celui de la fuite en Égypte. Pour les deux autres années (années B et C), nous lisons deux récits de Luc racontant une montée de Jésus à Jérusalem avec ses parents – la présentation de Jésus au Temple par ses parents dans un cas, le pèlerinage de Jésus à Jérusalem avec ses parents, lorsqu’il avait douze ans, dans l’autre cas.

 

          Luc fait donc venir Jésus deux fois au Temple de Jérusalem avec ses parents.  Chaque fois Il retourne ensuite à Nazareth où il continue de croître en âge et en sagesse, devant Dieu et devant les hommes.  De sa vie à Nazareth Luc ne rapporte rien, sinon qu'il était soumis à ses parents.

          Ces deux montées au Temple de Jérusalem préparent déjà la grande montée définitive vers Jérusalem à la fin de la vie de Jésus (Luc 19, 45ss).  Il y a beaucoup d'éléments communs à ces trois "montées".  Chaque fois, on vient au Temple par respect pour une prescription de la Loi.  La première fois, pour la présentation du premier-né, et les deux autres fois pour la célébration annuelle de la Pâque.  Chaque fois il y a des paroles qui provoquent l'étonnement.  Lors de la présentation, "le père et la mère de l'enfant étaient étonnés de ce que [Siméon] disait de lui"; lors de la deuxième montée, tous ceux qui entendent le jeune Jésus discuter avec les docteurs de la loi sont dans l'étonnement et ses parents ne comprennent pas sa réponse lorsqu'il leur dit qu'il doit être aux choses de son Père; enfin, lors de la dernière prédication de Jésus au Temple, personne ne le comprend lorsqu'il annonce la destruction de ce Temple. 

          De la Sainte Famille on sait peu de choses sinon qu'elle était pauvre.  Joseph était un simple ouvrier (le mot grec "tektón" utilisé par Luc signifiant plutôt un homme à tout faire qu'un menuisier au sens strict).  Lorsqu'ils présentent leur fils au Temple, ses parents présentent non pas l'agneau des riches mais les tourterelles des pauvres.  Et cette pauvre famille (bienheureux les pauvres, dira Jésus) éclatera rapidement, dans le sens le plus positif du mot éclater -- comme une fleur éclate en ouvrant ses pétales, pour s'ouvrir à la grande famille des disciples de Jésus, à la grande famille des nations.

          Avec Jésus la famille prend en effet un sens tout à fait nouveau.  Elle n'est plus, pour chacun des membres qui lui appartiennent, le cœur du monde, auquel tout doit être rapporté et rattaché.  Elle est éclatée.  Elle est le lieu dont on sort pour entrer dans le monde -- un lieu de passage et d'initiation à l'univers.  C'est le glaive qui sépare le cœur de Marie en deux. Son cœur sera divisé entre le Fils qu'elle perd lorsqu'il lui échappe, au Temple, à l'âge de douze ans, lorsqu'il la quitte vers l'âge de trente ans, alors qu'elle est sans doute déjà veuve, et finalement lorsqu'il se fait crucifier.  Ce cœur divisé est tout de suite re-soudé dans l'amour universel qu'elle partage avec son fils.       

          N'y a-t-il pas là un message important pour notre temps, où alors même que la famille éclate dans un autre sens, plutôt négatif, et qu'on refuse même souvent de la former -- en même temps, un vent de repliement sur soi souffle sur les groupements humains à tous les niveaux.  Des nations entières, et pas des moins puissantes, développent à nouveau des attitudes tribales d'agression en même temps que d'isolement, que l'on croyait appartenir aux millénaires passés.  La même chose se produit au niveau des collectivités ou communautés plus restreintes.   

          C'est alors qu'entrent en scène dans l’Évangile d’aujourd’hui les deux personnages mystérieux et sympathiques de Siméon et d'Anne.  Deux contemplatifs qui ont su intégrer leur foi et leur espérance personnelles très vives dans la vie religieuse du Peuple d'Israël. La prophétesse Anne a passé pratiquement toute sa vie au Temple, servant Dieu nuit et jour dans la prière.  Le vieillard Siméon de même a incarné dans sa vie l'attente du Messie qui était l'attente de tout le Peuple, et il vient donc au Temple poussé par l'Esprit.  Parce qu'ils sont deux véritables contemplatifs, ils voient ce que personne d'autre autour d'eux ne voient.

          Lorsque Jésus est présenté au Temple par Marie et Joseph, qui accomplissent les rites coutumiers, Jésus n'est pour toute la foule présente au Temple qu'un bébé entre d'autres, un premier-né pour le rachat duquel on offre rituellement deux colombes ou deux tourterelles.  Les deux contemplatifs que sont Siméon et Anne, parce qu'ils ont le regard pur et perçant de personnes libérées de toute attache et de toute ambition humaines, voient au-delà des apparences.  Un sens intérieur, qui n'est autre que l'Esprit Saint, leur dit qu'ils sont en présence du Messie, du Saint d'Israël, du Sauveur.  Siméon qui ne vivait pour rien d'autre que pour attendre le Messie, peut donc maintenant partir, non sans avoir annoncé à Marie un peu de ce qu'impliquera d'exigences douloureuses le fait d'être la Mère du Messie.  Anne, dont l'attente est également comblée, ne peut s'empêcher de parler de cet Enfant extraordinaire à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.

          Quelles leçons pouvons-nous tirer de cela pour nous-mêmes?  Tout d'abord celle que, si nous sommes de véritables contemplatifs, passant notre vie comme Anne, au Temple, servant Dieu de jour et de nuit dans la prière, nous saurons déchiffrer les signes des temps, et reconnaître le Christ dans toutes les formes sous lesquelles il voudra bien venir à nous. 

          Mais la première leçon est celle que toute famille, que ce soit la famille nucléaire ordinaire, ou que ce soit une famille monastique comme celle que nous formons ici à Scourmont, ne peut approfondir sa cohésion intérieure que si elle est en même temps solidement intégrée dans la grande communauté ecclésiale et dans la société civile où elle se trouve établie et si elle sait respecter et intégrer les traditions et les coutumes de l'une et de l'autre.  Elle pourra alors, comme Anne, parler de façon crédible de l'Enfant à tous ceux qui attendent le Salut.

Armand VEILLEUX