28 septembre 2008

Chapitre à la Communauté de Scourmont

Éloge d’un Chapitre Général ordinaire

Il y a quelques années j’ai donné ici, à Scourmont, un chapitre intitulé « Éloge de l’ordinaire ».Il s’agissait alors de montrer tout ce qu’a de beau et de riche le temps liturgique dit « ordinaire ».C’est dans ce sens, et non pas dans un sens péjoratif que je dirai que le Chapitre Général qui vient de se terminer a été très ordinaire, avec les aspects positifs et négatifs que cela peut comporter.

Nous avons eu au cours des quarante années de la période postconciliaire (après Vatican II, j’entends !) quelques Chapitres Généraux assez exceptionnels, où l’on pouvait en quelque sorte toucher de la main l’intervention de l’Esprit Saint.Ce fut le cas du Chapitre de 1969, sur la Via Aurelia, à Rome,qui marqua le point de départ d’une longue période de renouveau spirituel, et celui de 1984, à Holyoke, USA, où nos Constitutions actuelles prirent forme.Il y eut aussi des Chapitres Généraux marqués par des tensions, comme celui de 1971, qui fut une sorte d’anti climax de celui de 1969 et sans doute aussi celui de 1996.

Le récent Chapitre Général n’eut rien de vraiment « charismatique », mais fut aussi exempt de toute tension.Ce fut un Chapitre Général très serein, où un bon nombre de choses furent mises au point, parfois de façon inattendue. Un chapitre « ordinaire », donc.

Les Commissions Centrales de Cardeña, qui préparèrent ce Chapitre, acceptèrent la suggestion d’une Région de l’Ordre voulant que les Conférences Régionales aient un rôle dans la marche du Chapitre.Les Rapports de maison, dans lesquels tous les monastères partagent avec le reste de l’Ordre ce qu’ils vivent, et qui forment la partie essentielle du Chapitre, furent lus cette fois-ci non pas dans les quinze commissions mixtes du Chapitre mais en Conférences Régionales.Chacune offrit une vision globale de sa Région, plus quelques mots de chaque communauté.Cette vision globale de chaque Région fut certes intéressante ; mais les Régions auraient tout aussi bien pu la rédiger avant de venir à Assise – ce que d’ailleurs firent plus d’une d’entre elles. Dans la pratique, cette insertion d’un travail en Conférences Régionales au sein du Chapitre s’avéra une initiative plutôt négative à ne pas répéter.Cela empêcha le Chapitre de développer sa propre dynamique, si bien que le Chapitre démarra pour de bon au bout d’une semaine, après l’élection de l’Abbé Général.

Quant à cette élection, qui, elle, appartenait bel et bien à la dynamique du Chapitre, elle se déroula fort bien.Contrairement aux élections précédentes, où les échanges sur les candidats éventuels ne s’étaient faits que dans les coulisses, on réfléchit cette fois-ci en Commissions Mixtes à la fois sur la situation actuelle de l’Ordre, le type d’Abbé Général dont on a besoin à ce moment-ci et sur une fourchette assez large de noms mentionnés comme candidats possibles. Au cours de cette réflexion faite avec grand sérieux (et qui était le meilleur moyen de se mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit-Saint), une certaine convergence se manifesta, qui apparut dans la lecture des comptes rendus des quinze Commissions.Une certaine unanimité s’était alors déjà dessinée dans la sérénité, et l’après-midi passé en adoration devant le Saint Sacrement ainsi que la récitation du Rosaire, la veille de l’élection, ne firent que maintenir cette paix et cette sérénité déjà acquises.L’élection se fit tout simplement, le lendemain matin, et la vie du Chapitre Général continua.

Depuis de nombreuses années, même depuis quelques décennies, certains – dont j’ai toujours fait partie – demandent qu’un Chapitre Général soit tout entier consacré au thème ultra important de la formation.Ce thème de la formation était au programme de ce Chapitre-ci, même si c’était loin d’en être le thème principal.La secrétaire générale pour la formation dans l’Ordre donna un compte rendu de son activité depuis le dernier Chapitre, et surtout de la réunion de tous les secrétaires régionaux pour la formation tenue à Rome en juin dernier.Une petite Commission ad hoc fut créée au sein du Chapitre pour en tirer les conséquences pour l’Ordre.La recommandation principale, acceptée sans hésitation par les Capitulants, fut que le thème de la formation soit le thème principal du prochain Chapitre Général. Enfin ! Espérons que ce thème ne soit pas noyé dans plusieurs autres questions qu’on pourrait y ajouter au cours des trois prochaines années.

On ne peut que regretter que cette question si importante ait été abordée par le biais erroné consistant à vouloir entreprendre une révision de la Ratio ou de certaines de ses parties.Beaucoup de temps a été ainsi perdu, aussi bien à la réunion des Secrétaires Régionaux qu’au Chapitre -- temps qui aurait pu être avantageusement consacré à analyser des questions fondamentales concernant la formation posées par les situations nouvelles que vivent beaucoup de nos communautés dans des contextes culturels très différents.On aurait pourtant pu apprendre de la façon dont nos Constitutions ont continuellement évolué depuis leur approbation par le Saint-Siège en 1990.Il ne s’est pas passé un seul Chapitre, depuis 1993 où l’on n’a pas pris, en réponse aux exigences de la vie, des décisions impliquant comme conséquence des changements aux Constitutions.On ne s’est jamais demandé : « faut-il changer les Constitutions ».Une telle question aurait consisté en fait à mettre la loi avant la vie.Cela n’aurait pas fonctionné, comme cela, grâce à Dieu, n’a pas fonctionné avec la Ratio. En définitive, la réaction du Chapitre Général fut très saine.

Quelque chose de semblable se produisit concernant les structures de l’Ordre.Peut-être faudrait-il parler de la dynamique interne de l’Ordre plus que de « structures ».Quoi qu’il en soit, la structure fondamentale de l’Ordre, héritée de nos Pères Cisterciens, et en particulier de saint Étienne Harding, fait partie de notre patrimoine et c’est ce qui a permis à notre Ordre de passer de façon admirable à travers toutes les crises (les siennes propres comme celles de l’Église et de la Société) tout au long de l’histoire.

En même temps que des structures nouvelles, comme les Régions et la Commission Centrale, venaient s’ajouter aux structures plus traditionnelles, comme la filiation et le rôle du Père Immédiat, une tendance s’était fait sentir dans l’Ordre depuis quelques décennies vers une plus grande centralisation.Surtout depuis l’invention du concept de « communautés précaires » répartissant concrètement l’Ordre en deux catégories de communautés : les communautés dites « précaires » (à partir d’une liste élaborée de critères) et celles prétendant ne pas l’être, la tentation s’était faite toujours plus grande de trouver d’autorité des solutions aux situations précaires.

Dans ce contexte une région en particulier avait proposé un réaménagement des responsabilités et des pouvoirs décisionnels donnés aux Conférences Régionales et aux Commissions Centrales.Dans son document sur les structures de l’Ordre, la Commission de Droit avait énuméré toutes ces possibilités sous formes de questions.La réaction très saine et pratiquement unanime du Chapitre fut de rejeter toutes ces propositions qui nous auraient orienté graduellement vers la situation d’un Ordre centralisé (comme les Jésuites, par exemple), et de réaffirmer la sagesse de nos structures traditionnelles fondées sur un équilibre unique entre l’autonomie des communautés et un réseau très élaboré de services mutuels où s’exerce la charité et non pas le pouvoir.

On peut se réjouir que le fait d’avoir soulevé toutes ces questions qui semblaient artificielles à quiconque a un sens un peu aigu de notre patrimoine spirituel et juridique, ait permis à l’Ordre de s’exprimer clairement.On peut toutefois regretter que beaucoup de temps ait été ainsi perdu qui aurait pu servir à réfléchir plus en profondeur sur plusieurs autres questions vitales.

Mais la vie continue au sein de nos communautés et de nos régions, en attendant de se revoir à Assise dans trois ans.

Je reviendrai plus tard sur d'autres manifestations de la vie au sein de l'Ordre, par exemple dans les projets de nouvelles fondations, en particulier au Brésil et en Chine.

Armand VEILLEUX