B PÂQUES 06 JEAN 15,09-17 (15)

Chimay : 05.05.2024

Frères et sœurs, les lectures bibliques de ce dimanche se résument en un mot : aimez. C’est un commandement que nous trouvons tout au long de la Bible. Mais le livre des Actes des Apôtres (Ac 10,25-48) nous rappelle que ce n’est pas gagné, même chez les chrétiens. Pour les juifs convertis au Christ par exemple, tout soldat romain était un ennemi national. Tout étranger était exclu de la plénitude de l’Alliance. Il était interdit à tout juif pieux de fréquenter la maison des païens. Les premiers chrétiens partageaient cette façon de voir. L’expansion de l’Évangile devait se traduire dans un premier temps par le rassemblement des douze tribus d’Israël.

Mais l’Esprit Saint a fait voler en éclat cette barrière. Saint Pierre doit intégrer dans la communauté des croyants un païen converti : Corneille et sa famille. L’Évangile de Jésus Christ est pour tous, même pour ceux qui sont très loin. « Dieu ne fait pas de différence entre les hommes » (Ac 15,9). L’Esprit Saint se manifeste aussi chez les païens : les bouddhistes, les hindous, les musulmans, etc. Dans notre texte d’aujourd’hui, saint Pierre et Corneille – qui deviendra un saint lui aussi – sont tous les deux saisis par la puissance de l’Esprit et le centurion païen reçoit le baptême au nom de Jésus-Christ. C’est très important pour nous de le savoir, pour nous qui avons tendance à juger ceux qui ne sont pas de notre bord. Il y a des paroles méprisantes et blessantes qui sont un obstacle à l’annonce de l’Évangile. Nous oublions parfois que ces personnes ont la première place dans le cœur de Dieu. Elles sont son bien le plus précieux. En les rejetant, c’est contre Dieu que nous péchons.

La lettre de saint Jean (1 Jn 4,7-10) insiste fortement sur le grand commandement de l’amour : « Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres puisque l’amour vient de Dieu ». Dans sa lettre, saint Jean emploie à dix reprises le verbe aimer ou le mot amour pour nous livrer son expérience intime de Dieu reçue du Christ : « Dieu est amour ». Accueillir son amour et en vivre est la voie authentique pour connaître Dieu.

Il est important pour nous d’entendre cet appel, surtout quand on est confronté aux divisions et aux disputes qui empoisonnent non seulement la vie chrétienne, mais aussi la vie familiale, celle des compagnons de travail ou des relations sociales ou paroissiales. L’amour du frère s’enracine dans l’amour dont Dieu nous aime. Il faut le dire et le redire : Dieu nous a aimés, il a aimé le monde pour que nous vivions de la vie divine. Il s’est offert en sacrifice pour le pardon des péchés. Il attend de nous une réponse qui soit à la mesure de son amour pour nous.

L’Évangile nous rappelle les paroles de Jésus au soir du Jeudi Saint : « Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour » (Jn 15,9). Ces paroles sont le testament qu’il nous a laissé la veille de sa mort. Elles s’adressent aux apôtres mais aussi à chacun de nous aujourd’hui. Ce sont ses dernières volontés. Elles nous révèlent ce qu’il y a de plus profond en lui, ce qu’il nous confie de réaliser, ce qu’il y a de plus important à vivre si nous voulons être heureux et rendre les autres heureux. Aimer n’est pas seulement avoir un cœur qui bat pour quelqu’un. Aimer comme le Christ nous a aimés engage aussi la volonté de se mettre au service des autres et peut impliquer certains renoncements. Mais cet amour reçu de Dieu est la source d’une véritable amitié avec le Christ et en Christ.

Jésus tient à préciser que c’est un commandement nouveau. Ce qui est nouveau, ce n’est pas l’amour. Ce commandement de l’amour existait dans l’Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée ; et ton prochain comme toi-même » (Mt 22,37). Avec l’Évangile de ce jour, nous faisons comme un pas de plus. Jésus nous dit : « Aimez-vous les uns les autres COMME je vous ai aimés » (Jn 15,12). C’est-à-dire que l’amour que nous devons avoir les uns pour les autres nous vient du Père par Jésus. Ce qui est premier, c’est cette affirmation : Dieu est amour. Cet amour, ce n’est pas une simple qualité de Dieu parmi d’autres comme la bonté, la miséricorde, la sagesse, la puissance, la connaissance. C’est tout son être qui est amour. C’est ce à quoi tout notre être est appelé : devenir amour comme lui. C’est pourquoi certaines figures de saints et de saintes deviennent universelles et le demeurent : François d’Assise, Ghandi, Mère Teresa, Charles de Foucauld, sainte Thérèse de Lisieux.

Quant à nous, nous ne sommes pas l’amour, mais nous avons en nous celui qui est l’Amour. C’est pour cette raison que saint Jean écrit : « Celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui » (1 Jn 4,16). On ne peut pas vivre sans cet amour qui est en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint. Et cet amour qui vient de Dieu, nous ne pouvons le vivre qu’en passant par les autres.

Il nous appartient d’en tirer toutes les conséquences dans nos familles, nos villages, nos quartiers. Quand un chrétien va visiter une personne malade ou un prisonnier, c’est toujours au nom de cet amour qui est en Dieu. Il en est de même quand nous partageons avec les plus pauvres, ceux qui n’ont rien oui qui ont tout perdu. C’est toujours une réponse à Jésus qui nous commande de nous aimer les uns les autres. Car aimer nous fait ressembler à Dieu.

Bien sûr, quand nous parlons d’amour, il faut éviter les contrefaçons. Nous le savons bien : le verbe aimer comporte des nuances qui vont du sublime au sordide. L’amour vrai trouve sa source en Dieu. Il fait sans cesse le premier pas vers nous. C’est la croix du Christ qui nous le révèle. Elle nous le montre livrant son corps et versant son sang pour nous et pour la multitude. C’est ce don de Dieu qui nous rassemble chaque dimanche à la messe. Nous accueillons celui qui est l’Amour pour le porter aux autres. La mesure de cet amour, c’est le Christ qui la révèle : il les aima « jusqu’au bout », jusqu’à donner sa vie.

Si aimer se vivait uniquement à la force du poignet, par ses propres forces, cela paraîtrait hors de portée. Mais Jésus est plus précis : c’est en puisant cet amour en Celui qui nous a aimés jusqu’au bout, en recevant sa parole comme un commandement, une mission, que cette invitation devient possible. Vivre l’amour comme Jésus, ou tendre à vivre l’amour jusqu’au bout, c’est « demeurer » en lui, puiser en lui cette force qui nous dépasse et qui nous surprendra toujours par sa puissance. Jésus parle de l’amour agapê, amour de source divine, qui dépasse tout entendement humain, et qui est plus qu’un simple amour d’amitié réciproque. C’est Lui qui nous a aimés et qui nous confie cet amour maintenant. Voilà la nouveauté chrétienne, comme un don, et un projet, confiés à chacun. Et ça commence aujourd’hui.